mercredi 1 juin 2016

Green snake (Tsui Hark, 1993)

Dans la Chine légendaire et barbare où Tsui Hark situe Green snake, les hommes ont des visages grotesques, leurs nez sont des groins, les peaux sont déformées et couverts de pustules et ils vivent dans la fange. La boue envahit l'espace dans lequel ces monstres se mettent en cercle devant un homme qui a pris de la hauteur. Cet homme contraste tout à fait avec les autres. Il est tout de blanc vêtu, il est calme, serein. C’est le moine Fa-hai (Chiu Man-cheuk), dans une position de prière, la main dressée devant lui.

Fa-hai quitte le village en volant et marchant sur l’eau. Puis atteint une forêt où il sent un non-humain. C’est un vieillard barbu aux longs sourcils, également en blanc, qui marche en volant (Feng Tien). Fa-hai se met à sa poursuite, l’interroge sur sa santé et comprend que le vieillard, qui annonce avoir deux cents ans, est une araignée qui a pratiquement atteint le statut d’humain à force de méditation. Mais Fa-hai décide de faire prisonnier le vieil homme et l’enferme sous le socle d’une chapelle afin qu’il ne nuise pas aux humains.

Cette mission accomplie, il retourne en forêt où une pluie violente s’abat soudainement. Elle est provoquée par les deux sœurs serpents, Siu-chen, le serpent vert (Maggie Cheung) et Chu-shen, le serpent blanc (Joey Wong). Fa-hai les laisse filer. Elles semblent inoffensives. Les deux serpents vont en ville et décident de s’y installer. Serpent vert atterrit au milieu d’une soirée coquine où des danseuses indiennes officient. Elle arrive nue dans la pièce et se met à danser sensuellement avec les danseuses. Tsui Hark pratique un érotisme tel qu’il se faisait à l’époque à Hong Kong : une vision soft et saphique de la sensualité.

Serpent blanc va mettre son dévolu sur un jeune lettré, Hsui Xien (Wu Xing-guo). C’est un défi qu’elle se lance. Elle l’invite à venir dans sa demeure à la sortie du village, mais Hsui Xien trouve devant la maison un vieux taoïste et ses deux moinillons affairés à chasser les femmes démons en plaçant du soufre sur les murs. Serpent vert est prise de malaise et commence à quitter son apparence humaine, mais sa sœur fait pleuvoir et le soufre est évacué. Elle entame une liaison avec le lettré tandis que Serpent vert reste seule. Les saisons passent et leur liaison continue. Le lettré est amoureux du démon. C’est sans compter sur Ha-fai qui veut chasser les deux serpents.

Tsui Hark traverse son film de différents genres : la comédie, la romance, la politique. C’est Maggie Cheung qui se charge de la comédie. La jeune sœur n’a que 500 ans d’apprentissage de sorcellerie tandis que Serpent blanc en a 1000 à son actif. Elle est montrée comme une femme paresseuse qui préférerait ramper comme un serpent plutôt que d’avoir à marcher. L’essentiel du comique de son personnage vient justement de ses nombreuses transformations dues à la peur ou à la paresse. L’autre personnage comique est le vieux taoïste aveugle qui échoue dans tous ses plans, un pur personnage burlesque.

La romance ne s’attache pas seulement à Hsui Xien et Serpent blanc. Elle apprendra avec lui à devenir humaine et, vers la fin du film, à avoir des sentiments et donc à pleurer. Mais Serpent vert aimerait également aimer un humain. Elle est tentée par Hsui Xien, ce qui rend jalouses sa sœur, et d’une certaine manière par Serpent blanc elle-même, puisque Tsui Hark s’amuse à donner dans l’érotisme féminin. Puis, c’est le moine Ha-fai qu’elle voudra séduire dans une scène aquatique devant une cascade où Serpent vert cherchera à provoquer en lui une émotion.

Tsui Hark filme les scènes de romance à grands coups de regards langoureux, d’œillades au spectateur et de moues boudeuses. Les deux serpents arborent de nombreuses parures et joailleries. L'esthétisme de la demeure des deux sœurs est proche du kitsch. Il y a un étang avec de nombreuses fleurs de lotus rose. De nombreuses tentures tombent du plafond, les portes sont arrondies, on se croirait presque dans une comédie sophistiquée d'Ernst Lubitsch. L’image est très souvent colorée de filtres rose ou orange pâles tandis qu’une musique de voix harmonieusement douces surenchérit la romance amoureuse. Quant aux effets spéciaux, leur charme tient dans le bricolage bon marché.

Mais cet amour va être contrecarré par l’intransigeance du moine Ha-fai. C’est un fanatique religieux qui décide d’éradiquer ceux qu’il juge néfastes. Son personnage est le plus sévère du film à l’opposé de celui du vieux moine taoïste qui, s’il a aussi l’ambition de détruire les femmes serpents, fait rire. Ha-fai est un moine sans émotion, qui n’hésite pas à trahir son serment fait à Serpent vert de l’épargner, pour arriver à ses fins. Il se réfugie dans un temple bouddhiste où de nombreux moines fanatisés chantent à l’unisson des prières. Ils semblent avoir subi un lavage de cerveau et Ha-fai entend faire la même chose à Hsui Xien puisqu’il ne renonce pas à son amour. Son fanatisme intolérant provoquera une catastrophe qui manquera de détruire le village et de tuer ses habitants. Mais le moine accuse les sœurs serpents.

Pour Tsui Hark, ce fondamentalisme religieux est un des grands maux de toutes les époques et il n’a a de cesse de les opposer dans Green snake. Dans la mesure où le film a été tourné en 1993, il n’est impossible d’y voir également une allusion à la future rétrocession et d’assimiler le moine Ha-fai à la grande sœur chinoise. C’est donc l’affrontement de la connaissance (Hsui Xien est un lettré) face à la doctrine (tout le monde doit suivre une seule ligne directrice). Tsui Hark prend le parti des lettrés et de l’amour et livre un film parmi les plus radicaux politiquement. Comme toujours chez lui, d’ailleurs.

























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