dimanche 5 juin 2016

L'Empire des sens (Nagisa Oshima, 1976)

L’Empire des sens n’a failli jamais voir le jour. Nagisa Oshima a dû se battre à l’époque contre la censure très stricte de son pays qui interdisait la nudité intégrale non floutée. C’est le producteur français Anatole Dauman qui avait suggéré à Nagisa Oshima de tourner un film érotique. Chaque semaine, les bobines de film étaient envoyées en France pour être développées. C’était le seul moyen légal pour ne pas finir au bûcher. Sélectionné au Festival de Cannes malgré un procès retentissant au Japon, L’Empire des sens est toujours censuré et passe dans une version tronquée au pays du soleil levant. Et cela n’est pas seulement à cause de ses éléments sexuels non simulés.

L’hiver 1936 dans une maison de maître. La servante Abe Sada (Eiko Matsuda), pour résister au froid va se coucher sous la couverture d’une de ses collègues qui tente, en vain, de la peloter. Sada, ancienne prostituée, est regardée de haut par les autres employées. Elle a renoncé à ce métier quand un vieillard lui demande de coucher avec elle. Elle refuse mais le papi reste là, sous la neige à attendre ses faveurs. Elle acceptera de ne lui montrer que ses poils pubiens, filmés en gros plan, tandis qu’elle soulève sa tunique.

Sada est une jeune femme qui ne se laisse pas faire et un jour, dans la cuisine où toutes les filles travaillent, elle se dispute avec l’une d’elle qui estime qu’elle prend les autres de haut. Armée d’un couteau, elle est prête à blesser les autres employées quand son patron, Monsieur Kichi (Tatsuya Fuji), arrive pour s’interposer. Il ne l’avait jamais vu, lui demande son nom et lui affirme qu’elle est bien trop jolie pour tenir si violemment un tel instrument. Ce couteau, on le retrouvera à la toute fin du film, il sera le symbole (phallique) ultime de sa recherche des sens.

Kichi avait déjà été observé avec envie par Abe Sada dans une scène précédente où son épouse lui avait enfilé sa tenue de nuit. Il avait ensuite pris sa femme sous les yeux écarquillés de Sada. La servante fait sa besogne (nettoyer à quatre pattes le parquet) quand son patron débarque, lui soulève sa robe et lui met un doigt dans le cul. Il va désormais tout faire pour se retrouver seul avec elle. Il se fait passer pour un client et elle vient lui apporter du saké. Sada est d’abord gênée des avances. Il lui demande de ne pas bouder son plaisir, de ne pas se torturer l’esprit avec l’éventuelle arrivée dans la pièce d’une autre personne et ils commencent à faire l’amour.

Nagisa Oshima choisit de tout montrer : fellation, cunnilingus, coït, masturbation à plusieurs, entre autres. L’idée géniale du cinéaste est de filmer ces scènes comme les autres. Elles arrivent naturellement, sans qu’elles ne soient trop appuyées et créent une progression dramatique. Les scènes de baise ne sont donc pas pornographiques car elles ne sont pas présentes que pour elles-mêmes et donner un plaisir voyeuriste au spectateur. C'était une époque, dans ces années 1970 où le cinéma pornographique était très important (près de 25% des sorties hebdomadaires), Nagisa Oshima est 100 coudées au dessus du porno.

Les rapports sexuels se transforment vite en rapports amoureux. Les deux amants ne peuvent plus se séparer. Ils font des promenades romantiques sous la pluie, vont manger à l’extérieur et parlent beaucoup de leur relation. Bientôt, ils seront les seuls personnages présents à l’écran. Il lui clame qu’il ne la quittera jamais. Elle lui demande de ne plus coucher avec son épouse. Cette dernière, qui a compris qu’elle perd son mari, tente de le reconquérir. Tandis qu’il se lave, elle vient le masturber puis s’empaler sur son sexe. Il la rejettera avec violence.

C’est alors que s’amorce la partie où Sada et Kichi testent sur eux-mêmes l’étranglement pour atteindre la jouissance ultime. La folie menace Sada de plus en plus jalouse qui attache son amant. Parallèlement, le réel historique reprend le dessus. Tandis que Kichi marche dans la rue, les défilés de l’armée japonaise qui s’apprête à envahir la Chine se font plus présents, rappelant que la société policée du Japon de 1936 ne permet pas à ce couple de s’épanouir. La folie de Sada n’est que la conséquence de la folie du Japon, irrémédiablement tragique et politique. Dans le dernier plan filmé en plongée, les deux corps sont côte à côte, Sada arbore un sourire de bonheur, comme un aboutissement de sa recherche du plaisir par les sens. Fascinant.





















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