mercredi 15 juin 2016

La Loi de la jungle (Antonin Peretjatko, 2016)

Peu de gens le savent, mais il existe un Ministère de la Norme. Pas forcément sous le gouvernement de Monsieur Hollande (qui était dans la séquence d'ouverture de La Fille du 14 juillet, la meilleure comédie française des années 2010), la France de La loi de la jungle que fait exister Antonin Peretjatko est légèrement différente de celle que l'on connaît et dans laquelle on vit. Dans les bureaux de ce ministère, un portrait de Jacques Chirac traîne, par terre, dans un coin. Et sur le mur, le directeur de cabinet observe une carte du monde où les colonies sont encore indiquées.

Ce directeur de cabinet est incarné par Jean-Luc Bideau et se nomme Rosio. Il a pour tâche de recevoir, au tout début de l'été, Marc Châtaigne (Vincent Macaigne) qui aspire à être stagiaire, à 35 ans. Cette carte de l'ancien empire français va servir à Rosio à montrer à ce stagiaire où sera sa prochaine affectation : en Guyane. Là-bas, au fin fonds de l'Amérique du sud, personne ne veut aller. Et Châtaigne, qui arrive après tous les autres, n'a plus vraiment le choix. Il est obligé d'accepter sa mission.

La Guyane, comme on le sait tous, est une petite enclave française coincée entre le Brésil et le Suriname. Contrée de jungle et de bébêtes charmantes (plein de mygales dans chaque plan), où un autre haut fonctionnaire doit appliquer les normes dans ce département de l'autre bout du monde. La Loi de la jungle s'ouvre sur l'inauguration d'une statue de Marianne. Galgaric (Mathieu Amalric) prononce un beau discours totalement absurde, suivi de l'envol de la statue grâce à un hélicoptère et de sa perte au beau milieu de la jungle.

Galgaric reçoit bien aimablement Marc Châtaigne dans son grand bureau et explique assez vite la complexité des normes européennes et françaises. Oui, tout se met à moisir (coup de poing dans le mur comme preuve) et il faut allumer, la clim', les fenêtres et les ventilateurs pour survivre. Et pourquoi pas faire une piste de ski (Rosio a testé avec succès celle du Qatar), voilà une belle mission pour le stagiaire qui ne devra pas se séparer de son Guide de la Norme pour mener à bien ce projet tropicalo-hivernal appelé Guyaneige.

On lui assigne un chauffeur, quelqu'un qui connaît le coin comme sa poche, un baroudeur expert. Tarzan est le nom de ce baroudeur qui attend sur le capot de la méhari. Et Tarzan, c'est « l'ouragan » Vimala Pons, comme la présente l'incroyable générique de La Loi de la jungle avec son originale annonce des logos. Elle porte un petit short et un élégant t-shirt fleuri. Elle aura toujours une clope au bec et une banane sous le chapeau, toujours utile quand on a faim. Et c'est parti pour une aventure dans la jungle guyanaise.

Les personnages que vont croiser Tarzan et Châtaigne sont tous plus loufoques les uns que les autres. Damien (Rodolphe Pauly) sémillant entrepreneur venu construire un TGV. Un huissier intransigeant (Fred Tousch) poursuit Châtaigne et lui réclame ses impôts. Duplex (Pascal Legitimus) l'ingénieur de Guyaneige présente le lieu où sera édifiée la piste de neige et cause nature et environnement avec des répliques d'une ironie plus que mordante. Et aussi deux révolutionnaires, et encore les adeptes d'une secte apocalyptique.

Le périple du duo est au rythme des facéties que leur propose Antonin Peretjatko, plusieurs fois le mot FIN apparaît dans le film, il accélère les dialogues des acteurs. Les deux révolutionnaires offrent à boire un breuvage qui rend Tarzan et Châtaigne maboules, lui derrière une machine à écrire, elle se contorsionnant. Le cinéaste étonnera encore avec ses choix musicaux (Jean-Michel Jarre cette fois). Il surprendra avec les moments de poésie, une chenille sur l'épaule de Vimala Pons, un vers luisant se promène sur un soulier.

L'an dernier, un Vincent (Lindon) s'affrontait à la loi (du marché), cette année ce Vincent (Macaigne) lutte contre la loi (de la jungle). Faire une comédie dont les origines viendraient tout autant du cinéma de Jean-Pierre Mocky que de celui de Luc Moullet ne va pas sans évoquer la dure loi du monde du travail (c'était déjà le sujet de fond de La Fille du 14 juillet), et il en dit des choses sur notre époque ce film bancal, réjouissant, frappadingue, virevoltant, boueux, pluvieux, poisseux mais joyeux. Comment résister au clin d’œil de Vimala Pons ? Impossible.

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