Au
début des années 1990, je regardais les courts portraits d'Alain
Cavalier qui passaient à la télé (était-ce sur Arte ou sur FR3,
peu importe), c'était ma première rencontre avec le cinéaste alors
en train de modifier sa manière de filmer, passer de Thérèse
célébré par de nombreux César à la plus grande modestie
possible. Passée cette série documentaire télé, j'imagine qu'il a
continué de filmer mais que la télé n'en a plus voulu (je n'en
sais rie, mais c'est probable).
Les
premières images de ces Six portraits XL datent de 1995, lit-on dans
un carton. Et qu'elles sont vilaines ces images vidéo, mal
calibrées, mal cadrées, floues, tremblantes, mal sonorisées. Rien
n'est beau, tout est approximatif quand il filme cette Jacquotte, une
bourgeoise en robe bleue qui vient chaque début du mois d'août dans
la maison de ses parents où toute son enfance est concentrée. Elle
traverse les pièces remplies de ses souvenirs.
Alain
Cavalier connaissait plus ou moins les gens qu'il filme, il tutoie
Jacquotte comme son époux mais vouvoie Léon le cordonnier arménien
qui annonce à ses clients qu'il va prendre sa retraite (filmé en
2005), le jeune Guillaume (en 2015-2016) veut ouvrir une boulangerie
en banlieue chic, Daniel est acteur, Alain Cavalier vient lui rendre
visite trois fois, Philippe est très connu, c'est Labro le
journaliste filmé en 2006 puis 2016 enfin Bernard est comédien
picard.
A
priori, rien ne rapproche le boulanger de Philippe Labro si ce n'est
que le cinéaste a croisé leur route un jour ou l'autre, de la même
manière ion ignore ce qui lie Cavalier à Jacquotte alors qu'on
apprend que Bernard Crombey a joué dans Le Plein de super et
travaillé sur Libera me quant à Bernard Isoppo il a une longue
carrière de troisièmes rôles (notamment chez Claire Denis), ce qui
les rapproche tous, c'est l'obsession et la répétition.
Certes
Bernard Crombey parce qu'il est comédien répète sa pièce
constamment et ne cesse de la jouer, la même depuis 10 ans, mais le
succès est enregistré par Alain Cavalier. A l'inverse, Bernard
sombre petit à petit dans ses tocs, Alain Cavalier filme une sortie
de son appartement qui dure minutes, Bernard reste bloqué dans la
répétition des mêmes gestes, la séquence (très longue) est
autant troublante que drôle.
Jacquotte
est vissée aux objets de son enfance jusqu'au morbide (ces oiseaux
empaillés qu'elle admire), on se croirait chez Hitchcock, elle fait
le désespoir de son mari. Plus simple est le travail répétitif de
Léon et Guillaume, la routine qui s'achève à la retraite pour le
premier dans un local rempli d'objets et celle qui démarre pour
Guillaume quand il ouvre sa boulangerie avec autour de lui sa fille
pénible comme tout.
Reste
la vedette de l'ensemble, Philippe Labro, un coq toujours satisfait
de la soupe qu'il produit (avec Christophe Bourseiller). Il passe la
journée à préparer et enregistrer son émission Ombres et
lumières. Alain Cavalier filme un homme paternaliste, satisfait de
son travail, amoureux de son propre pouvoir. Ce portrait est sidérant
(quand Labro parle de Vincent, il s'agit de Bolloré) et je ne sais
pas le cinéaste se rend compte de sa violence cachée.
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