Jusqu'à
présent Giulietta Masina avait des cheveux gris et n'existait devant
la caméra de son mari et des autres cinéastes qu'en noir et blanc,
mais dans Juliette des esprits, elle apparaît aux spectateurs
en couleurs. Federico Fellini joue d'abord avec le public, il ne
montre pas tout de suite son visage mais uniquement celui des deux
petites bonnes qui s'affairent derrière leur maîtresse. Mieux,
Juliette porte sur ses cheveux un porte-perruque, elle ne sait pas si
elle va porter des cheveux noirs ou blonds. Finalement, elle garde sa
chevelure rousse.
Ce
soir-là quand commence Juliette des esprits, elle fête son
anniversaire de mariage. Elle a tout fait préparer, une table, deux
couverts, des bougies, mais le mari tarde à arriver et quand il
arrive non seulement il semble avoir oublié, s'en excuse aussitôt
dans la pénombre mais en plus débarque avec une demi-douzaine
d'amis, des semi mondains, des gens bariolés qui ne vont cesser de
traverser le cadre quand la timide Juliette, avec son petit sourire
en coin, reste bloquée, bouche bée devant tout se monde qui
s'agite, qui se presse pour s'amuser et trinquer.
Dans
sa grande tenue blanche, Juliette se pose comme une épouse
virginale, candide, sur laquelle tout glisse. Cette robe blanche,
Federico Fellini va se charger de la transformer pour que son héroïne
mûrisse, s'épanouisse et cela passe par une séance nocturne de
spiritisme qui a lieu dans sa grande maison entourée de pins
parasols si typiques de Rome, bien que l'ensemble soit tourné, comme
toujours chez le cinéaste italien, à Cinecittà. Du noir et blanc
de sa tenue, Juliette va découvrir la couleur, le dessein ultime de
Juliette des esprits.
Aux
amis excentriques qui se déploient dans l'ensemble du cadre
succèdent les membres de la famille de Juliette, ses sœurs et sa
mère, cette dernière est incarnée par Caterina Boratto, l'une des
terribles conteuses de Salo ou 120 journées de Sodome. Ce qui frappe
dans cette famille est son hétérogénéité, la minuscule et
rondelette Juliette au milieu de ces grandes perches snobinardes, si
apprêtées, si fardées, si coquettes quand Juliette reste au
naturel. Elle dénote dans cette famille qui la traite comme une
moins que rien.
Giorgio
(Mario Pisu) ne traite son épouse guère mieux. Elle engage des
détectives pour savoir ce qu'il en est, et oui, il a une maîtresse.
Paradoxalement, elle se sent libre dès qu'elle l'apprend et décide
d'aller à la rencontre, pour la première fois de sa vie, des
autres. En tout premier lieu de sa voisine, une femme libre et
extravagante. La première fois qu'elle tente de lui parler, Federico
Fellini la montre sur la plage dans une scène qui évoque le cinéma
japonais avec son palanquin porté par des amis de cette voisine.
La
nature est elle aussi digne d'un film japonais, tout à la fois
sauvage et apprivoisée, telle Juliette qui porte son petit chapeau
blanc, cette ombrelle verte que tiennent ses deux filles jumelles.
Les arbres et les fleurs illustrent dans une volonté superbe et
sublime d'illuminations et d'enluminures bariolées. Parmi toute
cette nature vivante, un saule pleureur apparaît à plusieurs
reprises dans le parcours de Juliette, sa verdeur ne cesse de
s’accroître tandis que l'épouse trompée commence à se libérer,
à envisager une aventure amoureuse et s'amuse en haut d'un pin avec
sa voisine.
Pour
tromper son ennui, pour mettre à mal la liaison de son époux, pour
répondre à la mesquinerie de sa mère, Juliette plonge dans la
rêverie qui prend la forme de scènes fantasmatiques, de flash-back
sur son enfance douloureuse où la religion est brocardée avec
force. C'est cela que j'aime dans le cinéma de Federico Fellini,
cette montée douce vers une autre réalité proche du délire, de la
folie, d'ailleurs à plusieurs moments, Juliette pense devenir folle,
mais au fin du fin, son petit sourire malicieux apporte une quiétude
méritée.
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