Il
y a moins de différences entre La Nuit porte jarretelles et Sam
Suffit qu'entre Jeux d'artifices et les deux autres films de Virginie
Thévenet. Les premières scènes rappellent celle de la boîte de
strip tease où s'égaraient Ariel et Jezabel mais avec un glissement
de point de vue, cette fois, dans Sam Suffit, c'est le personnage
principal sur scène, Eva (Aure Atika, qui semble ne pas avoir
changer en près de 30 ans de carrière) qui raconte son histoire.
Perruque
blonde, tenue collée-serrée, Eva la première femme vit à
Barcelone, première étape du film, premier lieu visité, le soleil,
la nuit, les clubs. Encore une fois, une quête éperdue de liberté
prend le personnage dans une ronde sans limites. Eva croise des
hommes et des femmes hauts en couleur, comme Rossi de Palma, première
de ses apparitions dans un film français, elle reviendra en fin de
film prendre des nouvelles d'Eva.
Elle
quitte cette vie pour l'extrême opposé, la Bretagne et une cabane
isolée dans la lande. La cabane s'appelle Sam suffit et la vie est
rudimentaire. Elle change d'environnement et de connaissances, c'est
une vie minimaliste et à l'écran effectivement, Virginie Thévenet
filme ces scènes comme du Rohmer à la petite semaine avec
uniquement des dialogues organiques, presque neutres énoncés avec
un ton badin.
On
ne retrouve pas l'esprit de troupe abordé dans les deux autres films
de Virginie, Thévenet avant un nouveau déménagement. Parce qu'Eva
en a marre de la Bretagne. Ça ne lui suffit pas. Elle va emménager
chez un peintre gay (Philip Bartlett) qui ne peint que des prairies.
Plus tard, il ajoutera des fleurs sur ses toiles, grâce à la vie
commune avec Eva. Elle devient sa muse mais elle rêve encore d'autre
chose, d'autres endroits.
Elle
devient la femme de ménage d'un couple de vieux messieurs,
délicieusement interprétés par Jean-François Balmer et Claude
Chabrol. C'est sans doute la meilleure partie de Sam suffit, pleine
d'humour. Elle ne sait absolument rien faire si ce n'est des crêpes
(forcément elle a été en Bretagne) et va faire des crêpes pour ce
vieux grognon de Jean-François Balmer, aussi secret que Claude
Chabrol est expansif.
Nouveau
déménagement dans la chambre de bonne au dessus de l'appartement du
vieux couple. Elle ne rêve plus que d'une chose : la normalité.
L'ironie de la situation ne cesse d'amuser. Ainsi elle va
collectionner tout ce qui rend normal : fiche de paie, feuille
de soins (un truc qui n'existe plus), carte d'électrice. Chaque
papier officiel est encadré comme un souvenir, comme une œuvre
d'art, dans un cadre kitsch à souhait.
Le
film est moins passionnant que les deux autres mais c'est dans les
choix musicaux qu'il évoque ce début des années 1990, on entend
des chansons et des morceaux de Neneh Cherrie, de Inner City (le
début de la house music), Les Négresses vertes et surtout on voit Keziah Jones, presque
dans son propre rôle, il a aussi composé la musique du film. Bref,
autant d'artistes franchement oubliés aujourd'hui mais qui furent
importants, comme des petits électrochocs musicaux.
La
cinéaste encercle aussi l'art de la rue, comme elle le faisait dans
La Nuit porte jarretelles en filmant les enseignes de la rue
Saint-Denis, elle filmait en 1992 les graffitis qui commençaient à
être écrits sur tous les murs. Le titre lui-même dans le générique
est balancé comme un tag fait à la bombe de peinture. Le contraste
est fort avec les posters des grands maîtres que Claude Chabrol
achète pour mettre sur ses murs.
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