Avant
la sortie sur nos écrans de Buñuel après l'Age d'or
mercredi, je me rafraîchis la mémoire en regardant L'Age d'or,
tourné entre Un chien andalou et Terre sans pain Las
Hurdes, ce film-là étant, grand paradoxe, l'un de ses rares
films tournés en Espagne, car pour Un chien Andalou comme
L'Age d'or Luis Buñuel comme son acolyte Salvador Dali
habitait en France et tournait ses films chez nous. C'était avant
Franco, avant la guerre civile avant son exil au Mexique dès 1940.
dans
son livre de souvenirs Mon dernier soupir, Luis Buñuel expliquait
que Salvador Dali, bien qu'il soit crédité à égalité au poste de
scénariste, n'a rien écrit pour le film ou si peu (il décrit une
seule scène gardée, celle de l'homme dans le jardin qui marche avec
une pierre sur sa tête). Bref, c'était déjà le début de la fin
de l'amitié entre Dali et Buñuel. Conséquence, le surréalisme est
assez vite évacué au profit du réalisme inversé.
Cette
notion est encore balbutiante dans le cinéma de Luis Buñuel, après
tout ce n'est que son deuxième film, et va s'épanouir dans Le
Charme discret de la bourgeoisie puis Le Fantôme de la
liberté tournés 40 ans après L'Age d'or dans sa sublime
période française. Cela consiste à prendre une situation
stéréotypée et à en inverser la chute pour surprendre le
spectateur tout en montrant que les personnages trouvent cette
inversion normale.
Dans
Le Fantôme de la liberté, c'était par exemple le condamné
à mort qui sortait du tribunal libre à peine sa sentence donnée,
il remercie les jurés, le juge, les parents de sa victime et quitte
le tribunal. Dans L'Age d'or, un père dans un jardin est
agacé par son fils qui écrase le cigarette qu'il fume. Le père
prend son fusil, vise et tire sur le gamin qui s'effondre. Tous les
convives présents ne s'offusquent pas vraiment de ce meurtre.
L'inversion
se poursuit avec les mêmes convives de cette réception à laquelle
ils assistent quand Gaston Modot gifle une dame invitée parce
qu'elle a renversé un verre sur sa main. Alors que les convives
endimanchés ne s'étaient pas offusqué de la mort de l'enfant, ils
réagissent avec violence à cette gifle. Tout est disproportionné
dans ces réactions et ce réalisme inversé est l'une des plus
joyeuses et radicales inventions de Luis Buñuel, ce qui alimente son
œuvre depuis ce film.
L'Age
d'or a été censuré et pas qu'un peu par le préfet Chiappe
(son nom est scandé par Georges Geret à la fin du Journal d'une
femme de chambre). Invisible pendant 50 ans. Les premières
images, celles des scorpions qui se battent avant d'être capturés à
la pincette, sont inoffensives presque documentaires puis ce sont des
plans cocasses, tels cette vache dans le lit à qui Lya Lys demande
de quitter les lieux. Elle sort de la chambre par la porte un peu
vexée.
Ce
qui a pu énerver au fur et à mesure que le film avance est aussi
l'érotisme qui se dégage des rapports entre Gaston Modot et Lya
Lys, plus que de l'érotisme c'est un appel à la sensualité entre
les deux personnages. Luis Buñuel filme les deux corps qui mime
l'acte sexuel avec les deux acteurs entièrement vêtus, mais ce sont
leurs mimiques, leurs grimaces, les mouvements de leurs lèvres qui
décrivent l'orgasme qu'ils semblent vivre en pleine réception.
La
séquence finale a dû mettre les ligues de vertu en colère est le
collage blasphématoire entre le Marquis de Sade, version les 120
journées de Sodome, et Jésus Christ, puisque ce dernier est nommé
le Duc de Blangis, sortant d'une château en air majestueux
accompagné de trois hommes louches en costumes. C'est tellement
délicieux de se moquer de la bigoterie et là aussi Luis Buñuel ne
s'est jamais privé de ce plaisir.
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