Assise,
Danièle, 63 ans, pantalon et pull, cheveux longs attachés, les yeux
rivés sur la table de montage, la main droite sur le dérouleur, la
gauche sur la pellicule. La bobine avance et recule, s'arrête sur un
photogramme. Debout, Jean-Marie, 65 ans, veste frippée sur le dos,
Gitane maïs au bec, il circule dans tous les sens et sort soudain
une phrase, un aphorisme, raconte une blague, disserte. Elle est les
yeux, il est la bouche, voici les Straub, Danièle Huillet et
Jean-Marie Straub.
Faut
pas l'emmerder Danièle, quand Jean-Marie veut raconter avec son
accent lorrain qu'il n'a jamais perdu une anecdote d'un tournage
passé, elle lui demande fermement ne ne pas parler et lui réplique
sèchement « depuis le temps qu'on monte des films ensemble,
vous êtes toujours pas capable de cette discipline-là ». Et
Straub de partir faire un petit tour histoire de ne pas énerver
Huillet qui tente de comprendre ce « sourire qui monte dans les
yeux » de son personnage.
Pedro
Costa a filmé en 1998, dans les locaux de l'Ecole du Fresnoy le
montage de quelques scènes de Sicilia !, film qui
sortira début 1999. c'est la méthode des Straub qu'il s'applique à
montrer pendant plus de 100 minutes, cette vieille histoire de
montage de la « matière » (le mot est de Jean-Marie) qui
est dans la tête de tous les auteurs Cahiers depuis la Nouvelle
Vague surtout pour eux et Godard, puisque Straub et Huillet sont
clairement des auteurs Cahiers.
Sicilia !
sera un film d'à peine une heure tourné en Sicile en noir et blanc
avec des acteurs amateurs. Si Danièle Huillet ne dit pas grand
chose, le regard – souvent furibard – concentré sur sa
bobineuse, il revient à Jean-Marie Straub de raconter des histoires
de tournage. Tout lui revient en mémoire depuis la pré-production
de Chronique d'Anna Magadlena Bach à la fin des années 1950
(ils mettront 10 ans à faire le film), jusqu'aux répétitions pour
Sicilia !
Justement,
il se rappelle que les répétitions pour La Mort d'Empédocle
avaient duré un an et demi en 1986, en 1998 ils n'ont eu que 3 mois.
Alors forcément, ils trouvent que les acteurs embauchés pour lire
les textes de Elio Vittorini, première adaptation de ses textes par
le couple de cinéastes, ressemble trop au cinéma de tous les jours,
ils veulent casser cette rythmique qu'ils détestent et que Straub
conspue à chaque fois qu'il le peut, notamment devant les étudiants.
Le
film est souvent drôle (on savait que Straub est drôle, il faut
regarder le Cinématon que Gérard Courant lui a consacré) et
Pedro Costa ne filme ps seulement la fabrication d'un film mais
surtout des disputes conjugales comme celui de Du jour au
lendemain, leur comédie musicale de 1997. Dans le premier plan
de ce film (le premier que j'ai vu des Straub, le même jour que Le
Cinquième élément), on lisait un graffiti sur un mur : Wo
liegt euer Lächeln begraben, Où gît votre sourire enfoui.
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