Cette
année, il n'a pas fallu attendre des semaines pour découvrir la
Palme d'or (si cela a vraiment un sens d'aller se précipiter dans
une salle de cinéma parce que tel film a reçu ce prix),
alors allons voir cette première Palme d'or pour un cinéaste
coréen. Jusqu'à présent Kim Ki-duk ou Park Chan-wook l'ont raté,
parfois de peu (Old boy en 2004 alors qu'il l'aurait largement
mérité plutôt que Fahrenheit 9/11), tout ça pour remarquer
avec ironie que les noms des deux familles de Parasite sont
d'un côté les Kim, de l'autre les Park (aucun Lee a l'horizon).
Honneur
aux Kim dans les bas quartiers, dans un logement où la promiscuité
règne, on se croirait dans une version coréenne d'affreux, sales et
méchants ou de la porcherie de Stephen Chow dans Crazy kung-fu,
un microcosme d'indigents filmés comme des insectes, se déplaçant
à toute vitesse dans cet entre-sol bondé d'objets en tout genre –
manque de place – à la recherche d'un peu de wi-fi. Les deux
enfants, déjà des adultes pas encore partis de chez papa maman, se
chamaillent avec tendresse pour trouver du réseau avant que tous se
retrouvent pour plier des boîtes de pizza.
Un
objet débarque dans cette famille, apporté par un ami cravaté du
fils, une roche sur un socle qui deviendra comme un fétiche. « C'est
métaphorique » dira Ki-woo le fiston surnommé Kevin, un
prénom américain comme un eldorado à atteindre (métaphore de
Hollywood où aucun cinéaste coréen n'a réussi à percer, ni Bong
Joon-ho, ni Park Chan-wook). En guise de métaphore, le bout de
pierre devient le déclencheur de la vie future de la famille Kim,
elle inspire le fils sur les bons conseils de son ami qu'on ne verra
plus du reste du film.
Quelque
chose manque dans Parasite, c'est ce trajet aller de cet appartement
sordide en entresol à cette belle maison dans les beaux quartiers et
qu'on devine en hauteur, sur une colline, dominant le reste de la
ville. Les riches surplombent les pauvres, ils les dominent. En
revanche, le chemin retour lors d'un orage dévastateur en milieu de
film est tout tracé, cette eau qui descend pour tout détruire ce
que Kevin et sa famille Kim ont minutieusement bâti chez les Park
dans cette belle maison spacieuse, aux pièces vides ou presque, aux
tons ternes.
Le
génie de Bong Joon-ho est de faire des Kim des personnages en quête
d'histoires. Ils décident eux-mêmes d'écrire leur scénario et
devenir leur propre metteur en scène, sous les yeux du spectateur et
la grande jouissance du film, plus que dans n'importe quel autre film
du cinéaste, est d'avoir l'impression que les Kim improvisent devant
nos yeux ébahis ces personnages : le fils un prof d'anglais, la
fille une prof de dessin, le père un chauffeur et la mère la bonne.
Seulement voilà, ces deux derniers postes sont pourvus et il va
falloir passer un nouveau casting.
La
famille Park est aussi archétypale que peut l'être la famille Kim,
le père est un riche entrepreneur complètement conformiste et
hautain en diable, la mère névrosée qui veut soigner son jeune
garçon qui a vu un fantôme. Le film montre, avec sarcasme où l'on
rit jaune, la vacuité de ces gens et on se trouve presque heureux
qu'ils se voient, par un juste retour des choses, exploités par les
pauvres Kim, en tout ils exploitent à leur profit la naïveté
snobinarde de ces gens en se faisant passer par des employés
modèles. On se marre jaune, c'est drôle.
Le
plaisir de spectateur que l'on prend au film vient du plaisir de Bong
Joon-ho à mélanger les genres, comme il le faisait sublimement dans
The Host, film de famille, suspense ébouriffant, film
d'horreur, comédie loufoque, drame social. Le plaisir de voir tous
ces acteurs dans un ballet subtilement chorégraphié est à son
comble dans la scène de l'orage, elle en est le summum de la
sophistication, c'est tout simplement époustouflant de voir une mise
en scène si précise et qui recèle autant de surprises narratives,
que je me fais un plaisir de ne pas révéler.
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