jeudi 6 juin 2019

Parasite (Bong Joon-ho, 2019)


Cette année, il n'a pas fallu attendre des semaines pour découvrir la Palme d'or (si cela a vraiment un sens d'aller se précipiter dans une salle de cinéma parce que tel film a reçu ce prix), alors allons voir cette première Palme d'or pour un cinéaste coréen. Jusqu'à présent Kim Ki-duk ou Park Chan-wook l'ont raté, parfois de peu (Old boy en 2004 alors qu'il l'aurait largement mérité plutôt que Fahrenheit 9/11), tout ça pour remarquer avec ironie que les noms des deux familles de Parasite sont d'un côté les Kim, de l'autre les Park (aucun Lee a l'horizon).

Honneur aux Kim dans les bas quartiers, dans un logement où la promiscuité règne, on se croirait dans une version coréenne d'affreux, sales et méchants ou de la porcherie de Stephen Chow dans Crazy kung-fu, un microcosme d'indigents filmés comme des insectes, se déplaçant à toute vitesse dans cet entre-sol bondé d'objets en tout genre – manque de place – à la recherche d'un peu de wi-fi. Les deux enfants, déjà des adultes pas encore partis de chez papa maman, se chamaillent avec tendresse pour trouver du réseau avant que tous se retrouvent pour plier des boîtes de pizza.

Un objet débarque dans cette famille, apporté par un ami cravaté du fils, une roche sur un socle qui deviendra comme un fétiche. « C'est métaphorique » dira Ki-woo le fiston surnommé Kevin, un prénom américain comme un eldorado à atteindre (métaphore de Hollywood où aucun cinéaste coréen n'a réussi à percer, ni Bong Joon-ho, ni Park Chan-wook). En guise de métaphore, le bout de pierre devient le déclencheur de la vie future de la famille Kim, elle inspire le fils sur les bons conseils de son ami qu'on ne verra plus du reste du film.

Quelque chose manque dans Parasite, c'est ce trajet aller de cet appartement sordide en entresol à cette belle maison dans les beaux quartiers et qu'on devine en hauteur, sur une colline, dominant le reste de la ville. Les riches surplombent les pauvres, ils les dominent. En revanche, le chemin retour lors d'un orage dévastateur en milieu de film est tout tracé, cette eau qui descend pour tout détruire ce que Kevin et sa famille Kim ont minutieusement bâti chez les Park dans cette belle maison spacieuse, aux pièces vides ou presque, aux tons ternes.

Le génie de Bong Joon-ho est de faire des Kim des personnages en quête d'histoires. Ils décident eux-mêmes d'écrire leur scénario et devenir leur propre metteur en scène, sous les yeux du spectateur et la grande jouissance du film, plus que dans n'importe quel autre film du cinéaste, est d'avoir l'impression que les Kim improvisent devant nos yeux ébahis ces personnages : le fils un prof d'anglais, la fille une prof de dessin, le père un chauffeur et la mère la bonne. Seulement voilà, ces deux derniers postes sont pourvus et il va falloir passer un nouveau casting.

La famille Park est aussi archétypale que peut l'être la famille Kim, le père est un riche entrepreneur complètement conformiste et hautain en diable, la mère névrosée qui veut soigner son jeune garçon qui a vu un fantôme. Le film montre, avec sarcasme où l'on rit jaune, la vacuité de ces gens et on se trouve presque heureux qu'ils se voient, par un juste retour des choses, exploités par les pauvres Kim, en tout ils exploitent à leur profit la naïveté snobinarde de ces gens en se faisant passer par des employés modèles. On se marre jaune, c'est drôle.

Le plaisir de spectateur que l'on prend au film vient du plaisir de Bong Joon-ho à mélanger les genres, comme il le faisait sublimement dans The Host, film de famille, suspense ébouriffant, film d'horreur, comédie loufoque, drame social. Le plaisir de voir tous ces acteurs dans un ballet subtilement chorégraphié est à son comble dans la scène de l'orage, elle en est le summum de la sophistication, c'est tout simplement époustouflant de voir une mise en scène si précise et qui recèle autant de surprises narratives, que je me fais un plaisir de ne pas révéler.

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