Cette
semaine écoulée, j'ai beaucoup regardé d'Alain Cavalier. D'abord
les DVD de Six portraits XL que je n'étais pas allé voir à
sa sortie au cinéma en octobre dernier, ensuite le court-métrage Un
Américain, son premier film inclus dans ce coffret DVD et mis en
scène en 1958, sa période cinéaste, puisque maintenant il
revendique n'être qu'un filmeur et qu'il profite des petites caméras
pour filmer ce qui l'entoure en gros plan avec sa petite voix
derrière, sa voix reconnaissable entre toutes.
Au
cinéma, je suis allé voir Etre vivant et le savoir, nous
étions six dans la salle (dont quatre étudiants en short qui se
connaissaient, on pourrait faire un court film sur les raisons qui
les ont poussé vers le cinéma. Avec un titre pareil, Alain Cavalier
filme la mort en œuvre, celle de l'écrivaine Emmanuèle Bernheim,
par ailleurs épouse de Serge Toubiana, ancien des Cahiers (je me
rappelle son long texte lors de la sortie estivale de La
Rencontre, premier film de filmeur d'Alain Cavalier).
Pas
plus que lui, on ne voit à l'image Emmanuèle pendant de longues
minutes, en tout cas pas son visage. On entend sa voix qui se mêle à
celle d'Alain (je vais l'appeler comme ça), dans un vouvoiement de
convention, purement cinématographique. Plus tard dans le film, le
tu sera employé entre eux quand ils oublient le vous. Alain veut
faire une fiction avec Emmanuèle et Etre vivant et le savoir est le
making off de ce film qui n'aura jamais lieu, ils le conçoivent à
deux vois à défaut de deux visages.
C'est
à partir du récit « Tout s'est bien passé », dont il
est lu quelques extraits, que cette fiction doit se construire. Alain
jouera le père d'Emmanuèle, il ira en Suisse pour mourir. J'emploie
ici le futur volontairement plutôt que la phrase Alain aurait
joué le père, car c'est cela le plus étonnant dans ce film, il
est entièrement tourné vers le futur alors qu'on sait pertinemment
qu'elle est décédée en 2017. Mais le film lui se construit sous
nos yeux et par nos oreilles pendant ces quelques 80 minutes que dure
Etre vivant et le savoir.
J'imagine
que cette fiction aurait pu prendre les mêmes atours que Pater
quand Vincent Lindon jouait le premier ministre qu'Alain Cavalier
devenu pour l'occasion président de la république se serait choisi.
Ici ce sont aussi des digressions sans fin que l'on retrouve, des
clins d'oeil entre l'écrivaine et le filmeur, car au bout d'un
moment, enfin il se décide de filmer son visage et effectivement ses
yeux. Car ils se retrouvent régulièrement dans l'appartement
d'Emmanuèle où partout trônent des pistolets (dont certains d'Andy
Warhol).
Le
tournage a été long et c'est justement pendant les interruptions
qu'il a pris le temps de monter les Six portraits XL. Ce long
temps, il est visible à l'écran avec ces courges qui envahissent
son espace et qu'il laisse mûrir et pourrir, il les associe avec des
crucifix trouvés ici et là. Là la petite caméra se frotte au
temps qui passe inexorable, certes parfois Alain Cavalier s'écoute
un peu parler, parfois le film n'échappe pas à des longueurs, mais
comme toujours c'est sa tendresse et sa légèreté qui l'emporte sur
le reste.
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