lundi 10 juin 2019

Etre vivant et le savoir (Alain Cavalier, 2019)


Cette semaine écoulée, j'ai beaucoup regardé d'Alain Cavalier. D'abord les DVD de Six portraits XL que je n'étais pas allé voir à sa sortie au cinéma en octobre dernier, ensuite le court-métrage Un Américain, son premier film inclus dans ce coffret DVD et mis en scène en 1958, sa période cinéaste, puisque maintenant il revendique n'être qu'un filmeur et qu'il profite des petites caméras pour filmer ce qui l'entoure en gros plan avec sa petite voix derrière, sa voix reconnaissable entre toutes.

Au cinéma, je suis allé voir Etre vivant et le savoir, nous étions six dans la salle (dont quatre étudiants en short qui se connaissaient, on pourrait faire un court film sur les raisons qui les ont poussé vers le cinéma. Avec un titre pareil, Alain Cavalier filme la mort en œuvre, celle de l'écrivaine Emmanuèle Bernheim, par ailleurs épouse de Serge Toubiana, ancien des Cahiers (je me rappelle son long texte lors de la sortie estivale de La Rencontre, premier film de filmeur d'Alain Cavalier).

Pas plus que lui, on ne voit à l'image Emmanuèle pendant de longues minutes, en tout cas pas son visage. On entend sa voix qui se mêle à celle d'Alain (je vais l'appeler comme ça), dans un vouvoiement de convention, purement cinématographique. Plus tard dans le film, le tu sera employé entre eux quand ils oublient le vous. Alain veut faire une fiction avec Emmanuèle et Etre vivant et le savoir est le making off de ce film qui n'aura jamais lieu, ils le conçoivent à deux vois à défaut de deux visages.

C'est à partir du récit « Tout s'est bien passé », dont il est lu quelques extraits, que cette fiction doit se construire. Alain jouera le père d'Emmanuèle, il ira en Suisse pour mourir. J'emploie ici le futur volontairement plutôt que la phrase Alain aurait joué le père, car c'est cela le plus étonnant dans ce film, il est entièrement tourné vers le futur alors qu'on sait pertinemment qu'elle est décédée en 2017. Mais le film lui se construit sous nos yeux et par nos oreilles pendant ces quelques 80 minutes que dure Etre vivant et le savoir.

J'imagine que cette fiction aurait pu prendre les mêmes atours que Pater quand Vincent Lindon jouait le premier ministre qu'Alain Cavalier devenu pour l'occasion président de la république se serait choisi. Ici ce sont aussi des digressions sans fin que l'on retrouve, des clins d'oeil entre l'écrivaine et le filmeur, car au bout d'un moment, enfin il se décide de filmer son visage et effectivement ses yeux. Car ils se retrouvent régulièrement dans l'appartement d'Emmanuèle où partout trônent des pistolets (dont certains d'Andy Warhol).

Le tournage a été long et c'est justement pendant les interruptions qu'il a pris le temps de monter les Six portraits XL. Ce long temps, il est visible à l'écran avec ces courges qui envahissent son espace et qu'il laisse mûrir et pourrir, il les associe avec des crucifix trouvés ici et là. Là la petite caméra se frotte au temps qui passe inexorable, certes parfois Alain Cavalier s'écoute un peu parler, parfois le film n'échappe pas à des longueurs, mais comme toujours c'est sa tendresse et sa légèreté qui l'emporte sur le reste.

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