La
dernière séquence de Body double montrait le tournage d'un film, Brian De Palma
expliquait comment une doublure poitrine remplaçait l'actrice dans
une scène de douche. La séquence d'ouverture de Pulsions
découpe le corps de Kate Miller (Angie Dickinson). Après un plan
large où la vapeur et la vitre de la douche font écrans à son
corps dénudé, des gros plans fixes de son visage alternent avec des
plans de ses seins puis de son pubis, elle passe langoureusement le
savon sur son corps, la caméra suit le mouvement de cette
masturbation. Certains de ces plans ont longtemps été absents du
film, la censure était passé par là, c'est peut-être pour cela
que Brian De Palma a procédé un remake de cette séquence à la fin
de Body double.
Pendant
sa douche, le mari de Kate est en train de sa raser, torse nu,
serviette rouge sang accrochée autour de la hanche. Pas un mot
prononcé sur la fabuleuse et douce musique de Pino Donaggio. Se
raser avec une lame, l'objet le plus présent dans Pulsions,
un rasoir qui va trancher la gorge de Kate. Un homme s'est glissé
sous la douche, pure vision de fantasme, un fantasme qui évacue
immédiatement les pulsions sexuelles de notre héroïne, qui décrit
grâce au symbole phallique de cette lame de rasoir, sa frustration
sexuelle, de ce mari qui ne le regarde plus. Cette douche inaugurale,
tout comme celle qui ouvre Carrie
qui ouvrait la voie à de puberté refoulée de Carrie par sa mère
tyrannique, explique la tentation de Kate Miller à rencontrer un
homme.
« Vous
me trouvez attirante ? » demande Kate à son psy, le
docteur Elliott (Michael Caine) qui la reçoit dans son cabinet des
quartiers chic de Manhattan. En complet veston, il se regarde dans un
miroir comme le faisait l'époux de Kate plus tôt. Kate va
expérimenter sa beauté au Metropolitan Museum. J'évoquais la
longueur de la déambulation de Body double dans le centre
commercial, celle de Pulsions est plus courte (environ huit
minutes) encore une fois magnifiée par la musique, de lentes
mélopées lascives. Caméra subjective prenant le point de vue de
Kate, objective dans ce jeu de cache-cache avec cet inconnu à
lunettes fumées (Ken Baker), de salles en salles, de tableau
figuratif à peinture abstraite. Et un gant qui tombe, révélant une
alliance et la gant ramassé par cet homme qui l'agite désormais de
la fenêtre d'un taxi. Kate le rejoint laissant tomber son deuxième
gant qui sera ramassé par une femme en pardessus, chapeau et
lunettes noires.
Le
romantisme et la sensualité sont toujours cucul la praline chez
Brian De Palma, à dessein. Qu'on se rappelle l'arrivée de Tommy
Ross quand il vient prendre Carrie avant la bal de promo,
sirupeux à souhait. Dans Pulsions, la scène de sexe dans le
taxi n'échappe à ce traitement. Les caresses érotiques mènent à
l'expulsion de la culotte de satin couleur saumon qui tombe sur le
plancher du véhicule tandis que le chauffeur tente de se rincer
l’œil, à l'image du spectateur lambda. Identiquement, quand Kate
part de l'appartement de l'homme du musée, elle lui laisse un mot
doux sur le téléphone. Elle prend un bloc de papier et un stylo
dans le tiroir du bureau et lit un rapport du médecin. Elle comprend
que cet homme nommé Warren Lockman a contracté une maladie
vénérienne. Ce romantisme cucul la praline cède la place à
l'angoisse, d'autant que Kate se rend compte qu'elle a non seulement
perdu sa culotte dans le taxi mais aussi son alliance chez Warren,
après son gant au musée.
Quand
on regarde Pulsions pour la première fois, il n'est pas
certain que l'on remarque cette femme tout en noir. Brian De Palma
n'appuie pas sur ce personnage qui n'est que furtif, mais il est
visible puisqu'il ramasse le deuxième gant de Kate Miller. Elle
ressemble à l'homme au pardessus
marron dans Les
Frissons de l'angoisse de
Dario Argento (que je viens de voir au cinéma). On apprendra
qu'elle est la patiente du Dr. Elliott. Elle s'appelle Bobbi
personnage transexuel. Elliott s'oppose à son opération de
changement de sexe, Bobbi va voir un autre psychiatre, le Dr. Levy
(David Margulies). C'est cette Bobbi, est cachée derrière
l'escalier de service qui va trancher la gorge de Kate, comme une
deuxième punition après la maladie vénérienne de son coup d'une
après-midi, comme une vengeance à son adultère. Evidemment, c'est
avec un rasoir comme dans le fantasme initial que Kate Miller meurt
dans Pulsions, telle Marion Crane, dans un hôtel au bout de
quelques minutes de récit.
Dans
Sœurs de sang, le meurtre était filmé en split-screen. Dans
Pulsions adapte le split-screen qui a fait sa renommée pour
un double écran différent. Il y a d'abord les trois objets de Kate
(gant, culotte, alliance) qui reviennent en flash-backs à son esprit
sous une forme de surimpression. Le split-screen prend
essentiellement la forme de demi-bonnettes, deux images de profondeur
différente sont mise en rapport, comme un champ-contrechamp dans le
même cadre. Une bonne vingtaine de demi-bonnettes parsèment le
film, de plus en plus alambiqués mais toujours en rapport avec
l'écoute (la scène chez le psychiatre, Peter le fils de Kate
espionne Elliott au poste de police), l'observation (encore Peter qui
installe une caméra 8mm devant le cabinet du docteur). L'unique
split-screen est entre le Dr. Elliott et Liz Blake (Nancy Allen)
regardant tous les deux une émission télé sur un transexuel.
C'est
un passage de relais particulièrement pervers auquel procède Brian
De Palma pour quitter Kate Miller et présenter à Liz Blake, témoin
de l'assassinat. Kate tend la main à Liz comme pour lui lancer la
reprise du récit après sa mort, elle la saisit ou plutôt elle
prend possession de ce rasoir maudit. Liz, call-girl, est tenue par
l'inspecteur de police Marino (Dennis Franz), plus vulgaire que
jamais, comme la suspecte N°1. La maestria manipulatrice du cinéaste
se déploie sur deux mensonges qui ne seront découverts comme tels
que dans l'épilogue du film. Il ne faut croire ni ce que l'on dit ni
ce que l'on voit, cela était annoncé par ces demi-bonnettes sur
l'écoute et l'observation. Brian De Palma mène le récit vers de
fausses pistes qui paraissent plausibles mais contredisent la logique
narrative que le spectateur est forcé de faire.
C'est
uniquement par le cinéma que la vérité pourra enfin être
découverte. Cette vérité vient de Peter (Keith Gordon) qui enquête
de son côté car il est le seul à ne croire à la bonne foi ni de
l'inspecteur Marino ni à celle du Dr. Elliott. Il croit Liz et tous
les deux font résoudre le mystère autour de cette femme en noir qui
la poursuit en voiture puis dans le métro. Cette petite caméra,
évoquée plus haut, qu'il installe est le révélateur de la réalité
car elle filme sans montage dans cette conception bazinienne du
cinéma a priori à l'extrême opposée du cinéma de Brian De
Palma.. Ce Peter, comme l'a raconté Brian De Palma dans ses
entretiens, est l'alter ego du cinéaste, il avait surveillé les
infidélités de son père de cette manière. Plus que cela il
compose le premier personnage d'une trilogie idéale sur les vérités
et les mensonges du cinéma, Pulsions, Blow up et Body
double.
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