La
porosité de deux cinémas de la marge est au centre de Body
double, l'industrie du porno hétéro et la série B horrifique.
Jake Wilson (Craig Wasson) joue un vampire dans un film tourné par
Rubin (Dennis Franz). Fausses canines dans la mâchoire, Jake est
allongé dans ce qui doit faire figure de cercueil, il doit tourner
son visage vers la caméra et montrer ses dents mais il est pris
d'une angoisse l'empêchant de bouger, il est sujet à la
claustrophobie. Cette angoisse des espaces restreints est un décalque
de la peur du vide de James Stewart dans Vertigo,
c'est l'un des nombreux emprunts au cinéma d'Alfred Hitchcock,
encore et encore.
L'espace
restreint de Jake Wilson n'est pas seulement ce faux cercueil, c'est
aussi cette industrie hollywoodienne. Il court les castings, passe
son temps à faire des auditions où tous les autres acteurs lui
ressemblent, il prend des cours de théâtre, scène où Brian De
Palma se moque avec sarcasme des ces cours et donc du cinéma
psychologique. Il cherche des boulots mais aussi un logement après
découvert l'infidélité de sa copine. Les hasards tombent à point
nommé, un certain Sam Bouchard (Gregg Henry) a de quoi loger Jake.
Immense blond à la mâchoire carrée, Bouchard court les auditions
comme lui, ils se retrouvent partout.
Quelle
maison ! L'appartement promis à Jake est une immense rotonde
perchée sur les collines de Los Angeles, dans les quartiers chics.
Impossible de ne pas penser à la maison en terrasse de la dernière
partie de La Mort aux trousses puis impossible de ne pas
penser à Fenêtre sur cour quand Bouchard explique l'un des
privilèges de cette demeure : pouvoir tranquillement observer
le voisinage et en l'occurrence une belle femme dans une maison en
face qui chaque soir fait une danse sensuelle et un strip-tease
devant sa fenêtre. Jake joue au voyeur avec une longue-vue, admire
les déhanchés de cette femme brune.
Comme
dans Pulsions, le film est coupé par une longue déambulation
(près de 30 minutes) où Jake suit cette femme brune qui l'obsède.
D'autant qu'il remarque qu'un Indien au visage patibulaire la suit.
On apprendra qu'elle s'appelle Gloria Revelle (Deborah Shelton).
Cette déambulation est étirée par Brian De Palma jusqu'à son
point limite, presque aucun dialogue, la musique seule de Pino
Donaggio, l'architecture d'un centre commercial puis d'une maison à
étages accrochée en bord de plage suffisent à créer un malaise
durable dans cette poursuite d'une invraisemblable lenteur. Brian De
Palma pousse l'exercice de style quitte à se parodier.
Il
ne reste plus à Jake à comprendre dans quelle sombre histoire il
s'est engouffré. En suivant Gloria Revelle, il est le témoin de son
assassinat par ce sinistre Indien. Là, Brian De Palma s'amuse comme
un gamin pour filmer le meurtre de la femme. L'Indien la tue avec une
perceuse à béton, un symbole phallique gigantesque qui s'enfonce
dans le dos de la victime comme une saillie sexuelle. C'est dans ce
mouvement que Body double passe du film à suspense au porno,
comme si ce simulacre de coït stimulait Jake et qu'il se sente
obligé de regarder dans sa rotonde une chaîne du câblée consacrée
à l'érotisme et au porno.
Si
un acteur peut tout faire, alors Jake peut passer du cinéma
d'horreur au porno. L'arrivée de Holly Body (Melanie Griffith),
sculpturale blonde de l'industrie du X au discret tatouage sur la
fesse (une fleur de houx, car en anglais holly se traduit par
houx) déplace aussi Body double vers la résolution de son
énigme et vers l'humour de Brian De Palma que j'aime tant. Cet
humour arrive à plusieurs moments, d'abord avec le tournage d'un
porno où Jake joue avec Holly, c'est ce moment où Frankie Goes To
Hollywood interprète leur chanson Relax, mais aussi lors d'une
soirée où une amie de Jake reçoit de Holly le numéro de téléphone
d'un ami producteur.
Du
point de vue strictement hitchcockien, puisque Body double en
regorge, Melanie Griffith apporte avec elle le souvenir de Tippi
Hedren mais aussi ce thème du double, du retour de la femme disparue
(encore Vertigo). L'Indien qui poursuivait Gloria évoque pour
sa part les derniers films d'Alfred Hitchcock, l'humour
pince-sans-rire de Frenzy (on étrangle pas avec une cravate
mais avec le fil de téléphone) tout comme Complot de famille
sorti sept ans avant Body double (le coup des masques). Mais
chaque fois que je vois Body double, j'ai du mal à ne pas en
voir la caricature du cinéma de Brian De Palma, je ne sais jamais si
j'aime vraiment le film.
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