lundi 25 juin 2018

Body double (Brian De Palma, 1984)

La porosité de deux cinémas de la marge est au centre de Body double, l'industrie du porno hétéro et la série B horrifique. Jake Wilson (Craig Wasson) joue un vampire dans un film tourné par Rubin (Dennis Franz). Fausses canines dans la mâchoire, Jake est allongé dans ce qui doit faire figure de cercueil, il doit tourner son visage vers la caméra et montrer ses dents mais il est pris d'une angoisse l'empêchant de bouger, il est sujet à la claustrophobie. Cette angoisse des espaces restreints est un décalque de la peur du vide de James Stewart dans Vertigo, c'est l'un des nombreux emprunts au cinéma d'Alfred Hitchcock, encore et encore.

L'espace restreint de Jake Wilson n'est pas seulement ce faux cercueil, c'est aussi cette industrie hollywoodienne. Il court les castings, passe son temps à faire des auditions où tous les autres acteurs lui ressemblent, il prend des cours de théâtre, scène où Brian De Palma se moque avec sarcasme des ces cours et donc du cinéma psychologique. Il cherche des boulots mais aussi un logement après découvert l'infidélité de sa copine. Les hasards tombent à point nommé, un certain Sam Bouchard (Gregg Henry) a de quoi loger Jake. Immense blond à la mâchoire carrée, Bouchard court les auditions comme lui, ils se retrouvent partout.

Quelle maison ! L'appartement promis à Jake est une immense rotonde perchée sur les collines de Los Angeles, dans les quartiers chics. Impossible de ne pas penser à la maison en terrasse de la dernière partie de La Mort aux trousses puis impossible de ne pas penser à Fenêtre sur cour quand Bouchard explique l'un des privilèges de cette demeure : pouvoir tranquillement observer le voisinage et en l'occurrence une belle femme dans une maison en face qui chaque soir fait une danse sensuelle et un strip-tease devant sa fenêtre. Jake joue au voyeur avec une longue-vue, admire les déhanchés de cette femme brune.

Comme dans Pulsions, le film est coupé par une longue déambulation (près de 30 minutes) où Jake suit cette femme brune qui l'obsède. D'autant qu'il remarque qu'un Indien au visage patibulaire la suit. On apprendra qu'elle s'appelle Gloria Revelle (Deborah Shelton). Cette déambulation est étirée par Brian De Palma jusqu'à son point limite, presque aucun dialogue, la musique seule de Pino Donaggio, l'architecture d'un centre commercial puis d'une maison à étages accrochée en bord de plage suffisent à créer un malaise durable dans cette poursuite d'une invraisemblable lenteur. Brian De Palma pousse l'exercice de style quitte à se parodier.

Il ne reste plus à Jake à comprendre dans quelle sombre histoire il s'est engouffré. En suivant Gloria Revelle, il est le témoin de son assassinat par ce sinistre Indien. Là, Brian De Palma s'amuse comme un gamin pour filmer le meurtre de la femme. L'Indien la tue avec une perceuse à béton, un symbole phallique gigantesque qui s'enfonce dans le dos de la victime comme une saillie sexuelle. C'est dans ce mouvement que Body double passe du film à suspense au porno, comme si ce simulacre de coït stimulait Jake et qu'il se sente obligé de regarder dans sa rotonde une chaîne du câblée consacrée à l'érotisme et au porno.

Si un acteur peut tout faire, alors Jake peut passer du cinéma d'horreur au porno. L'arrivée de Holly Body (Melanie Griffith), sculpturale blonde de l'industrie du X au discret tatouage sur la fesse (une fleur de houx, car en anglais holly se traduit par houx) déplace aussi Body double vers la résolution de son énigme et vers l'humour de Brian De Palma que j'aime tant. Cet humour arrive à plusieurs moments, d'abord avec le tournage d'un porno où Jake joue avec Holly, c'est ce moment où Frankie Goes To Hollywood interprète leur chanson Relax, mais aussi lors d'une soirée où une amie de Jake reçoit de Holly le numéro de téléphone d'un ami producteur.


Du point de vue strictement hitchcockien, puisque Body double en regorge, Melanie Griffith apporte avec elle le souvenir de Tippi Hedren mais aussi ce thème du double, du retour de la femme disparue (encore Vertigo). L'Indien qui poursuivait Gloria évoque pour sa part les derniers films d'Alfred Hitchcock, l'humour pince-sans-rire de Frenzy (on étrangle pas avec une cravate mais avec le fil de téléphone) tout comme Complot de famille sorti sept ans avant Body double (le coup des masques). Mais chaque fois que je vois Body double, j'ai du mal à ne pas en voir la caricature du cinéma de Brian De Palma, je ne sais jamais si j'aime vraiment le film.





























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