La
nuit du chasseur de sons est d'un calme apparent. Tenant son long
micro à bout de bras, muni d'un casque et d'un enregistreur sur
bande magnétique, Jack Terry (John Travolta) est perché sur une
passerelle dans un parc public de Philadelphie. Il enregistre du vent
parce que son patron lui a affirmé que son vent est banal, il
observe un couple qui s'embrasse en contre-bas, la femme veut partir
quand elle le voit pensant qu'il est un voyeur (« a peeping
Tom »), une grenouille croasse, une chouette hulule (superbes
plans en demi-bonnettes, généreux hommage au film de Charles
Laughton). Calme apparent perturbé par le bruit, au loin, d'une
voiture à vive-allure et plonge dans la rivière. Le voici témoin
auditif d'un accident de voiture dans laquelle se trouvent une femme
et un homme.
Il
faut revenir un peu en arrière dans Blow
out, dans cette première
scène qui se déroule dans une douche, où une femme nue va être
assassinée au couteau. C'est le lien fétichiste entre Pulsions
et Body double.
Dans Blow out,
il s'agit d'une scène d'un film sur quel travaille Jack. Dans une
salle de cinéma, il visionne avec le réalisateur cette série Z, un
film d'horreur dénudé, dans un premier montage sonore et là, c'est
le drame, le cri de l'actrice quand elle découvre le meurtrier est
ridicule et fout la scène par terre. Jack n'a pas remplacé son cri
« naturel » par un de ses enregistrements, Le métier de
Jack, c'est cela, non pas un simple preneur de son, mais un mixeur,
il travaille en post-production pour que tout cela sonne juste, quand
bien même les images du film, le scénario et l'interprétation sont
médiocres.
Dans
cette scène nocturne, le spectateur remarque un homme au bord de la
rivière, Brian De Palma l'inscrit dans ce récit primitif comme il
inscrivait la femme en manteau noir dans Pulsions,
sans insister. Filmé en plan très large, l'homme fuit quand Jack
plonge dans la rivière pour porter secours aux victimes. Il ne
sauvera pas le conducteur mais la passagère, Sally (Nancy Allen)
qu'il accompagne à l'hôpital. Très vite, la police arrive car le
conducteur décédé est le gouverneur et la passagère n'est pas son
épouse. Pour éviter un scandale, le porte-parole du gouverneur, qui
briguait un nouveau mandat, exhorte Jack à ne rien dire sur la
présence de Sally. Quand j'écris exhorter, je veux dire qu'il
menace notre preneur de sons, sans prendre de pincettes. Jack ne doit
rien dire pas plus que Sally.
L'une
des idées théoriques les plus fabuleuses de Blow
out est d'en faire un récit à
la Rashomon,
d'en donner plusieurs points de vue sur cet accident de voiture.
Casque sur le oreilles, Jack écoute au casque son enregistrement,
revenant sur tel son, le vent, le couple, la grenouille et la
chouette, vus cette fois en contre-champ, donnant une vision
panoramique tout autant que polyphonique de la scène. Jack dirige le
stylo qu'il tient en chef d'orchestre, reproduisant les mouvements
qu'il faisait avec son micro. Il commence à déceler le son d'un
coup de feu avant celui d'un pneu qui explose et le saut (blow
out) dans l'eau de la rivière.
Tel les personnages des films de Dario Argento (cette fois j'ai vu
L'Oiseau au plumage de
cristal), le témoin part
enquêter sur le mort qu'il a découvert, en parallèle à celle de
la police.
La
version du récit de Jack ne correspond en rien à ce qu'il lit dans
la presse le lendemain. Dans ce récit en Rashomon,
Le conseiller du gouverneur écrit une toute autre histoire, très
lisse, très propre où Sally a disparu, une histoire rassurante et
qui renvoie aux théories du complot. Enfin, troisième vision, celle
de Manny Karp (Dennis Franz) qui apporte des images cette fois. Dans
une conférence de presse, Manny Karp prétend avoir testé sa
nouvelle caméra, précisément à cet endroit et à ce moment, une
variation du film de Zapruder. Des images en noir et blanc du film de
Karp sont publiées dans un magazine. Jack les découpe pour revenir
à cette scène primitive pour faire coïncider les sons qu'il a
enregistrés avec les images de Karp afin de voir si elles
correspondent au récit inventé par le conseiller pour le grand
public.
Toute
une réflexion sur les images est à l’œuvre dans Blow
out, avec une grande ironie de
la part de Brian De Palma. La scène du navet qui ouvre son film, en
forme de courte déambulation prenant le point de vue du tueur
(caméra subjective) est reprise plus tard avec Burke (John Lithgow)
le tueur à gages engagé par un adversaire du gouverneur. Ce tueur à
gages suit Sally de la gare de la même manière que l'assassin dans
le film dans le film. Il suit ainsi une blonde aux cheveux bouclés
habillée de manière vulgaire dans les rues mal éclairées, et la
tue. Une image peut en cacher une autre et une blonde vulgaire n'est
pas forcément Sally. Tout Blow out est composé de scènes de
faux-semblants qui masquent la réalité de ce que le spectateur
voit. Peu importe que le spectateur devine la réalité avant le
personnage, l'important est de lancer des embûches aux
protagonistes.
Le
seul plan séquence de Blow out
est d'une simplicité abyssale
et elle est aussi belle que troublante. Jack est dans son studio, il
travaille sur ses bandes sonores pour finaliser le film qui va
révéler au public le complot. La caméra de Brian De Palma est au
centre de la pièce et commence un panoramique sur son axe pour
filmer les appareils de Jack. Ce dernier comprend que ses bandes
magnétiques ont été effacées. Avec énervement, il en saisit une,
puis une autre, jetant les cartons qui les contiennent au sol,
transformant le studio en capharnaüm. Mais c'est le son qui frappe
dans cette séquence, les sons « vides » des bandes
emplissent toute la piste sonore dans un effet bruyant qui touche au
fantastique, impossible de ne pas penser aux additions sonores de
Jean-Luc Godard ou plus simplement à la bataille de la machine
contre l'homme dans le finale de 2001 l'odyssée de l'espace.
L'imbrication
des deux premières scènes, soit l'image d'un crime avec un son
manquant suivi du son d'autre crime avec les images manquantes se
confrontent donc à Burke qui prend en charge le point de vue.
L'habituelle cène de déambulation dans la gare en plein jour puis
sur un monument de Philadelphie la nuit de Liberty Day passe d'un
cadre objectif à subjectif. C'est aussi le passage de moments
comiques proches du burlesque (le casting de filles pour faire un
cri) au drame (l'enregistrement en direct par Jack de Sally). L'un
dans l'autre, les deux films seront complets à la fin de Blow
out, le film d'horreur bon
marché comme celui de la preuve de l'assassinat du gouverneur, mais
le seul à en connaître le secret de fabrication et de production
est Jack, terré dans son mutisme devant le résultat final.
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