mardi 10 juillet 2018

Blow out (Brian De Palma, 1981)

La nuit du chasseur de sons est d'un calme apparent. Tenant son long micro à bout de bras, muni d'un casque et d'un enregistreur sur bande magnétique, Jack Terry (John Travolta) est perché sur une passerelle dans un parc public de Philadelphie. Il enregistre du vent parce que son patron lui a affirmé que son vent est banal, il observe un couple qui s'embrasse en contre-bas, la femme veut partir quand elle le voit pensant qu'il est un voyeur (« a peeping Tom »), une grenouille croasse, une chouette hulule (superbes plans en demi-bonnettes, généreux hommage au film de Charles Laughton). Calme apparent perturbé par le bruit, au loin, d'une voiture à vive-allure et plonge dans la rivière. Le voici témoin auditif d'un accident de voiture dans laquelle se trouvent une femme et un homme.

Il faut revenir un peu en arrière dans Blow out, dans cette première scène qui se déroule dans une douche, où une femme nue va être assassinée au couteau. C'est le lien fétichiste entre Pulsions et Body double. Dans Blow out, il s'agit d'une scène d'un film sur quel travaille Jack. Dans une salle de cinéma, il visionne avec le réalisateur cette série Z, un film d'horreur dénudé, dans un premier montage sonore et là, c'est le drame, le cri de l'actrice quand elle découvre le meurtrier est ridicule et fout la scène par terre. Jack n'a pas remplacé son cri « naturel » par un de ses enregistrements, Le métier de Jack, c'est cela, non pas un simple preneur de son, mais un mixeur, il travaille en post-production pour que tout cela sonne juste, quand bien même les images du film, le scénario et l'interprétation sont médiocres.

Dans cette scène nocturne, le spectateur remarque un homme au bord de la rivière, Brian De Palma l'inscrit dans ce récit primitif comme il inscrivait la femme en manteau noir dans Pulsions, sans insister. Filmé en plan très large, l'homme fuit quand Jack plonge dans la rivière pour porter secours aux victimes. Il ne sauvera pas le conducteur mais la passagère, Sally (Nancy Allen) qu'il accompagne à l'hôpital. Très vite, la police arrive car le conducteur décédé est le gouverneur et la passagère n'est pas son épouse. Pour éviter un scandale, le porte-parole du gouverneur, qui briguait un nouveau mandat, exhorte Jack à ne rien dire sur la présence de Sally. Quand j'écris exhorter, je veux dire qu'il menace notre preneur de sons, sans prendre de pincettes. Jack ne doit rien dire pas plus que Sally.

L'une des idées théoriques les plus fabuleuses de Blow out est d'en faire un récit à la Rashomon, d'en donner plusieurs points de vue sur cet accident de voiture. Casque sur le oreilles, Jack écoute au casque son enregistrement, revenant sur tel son, le vent, le couple, la grenouille et la chouette, vus cette fois en contre-champ, donnant une vision panoramique tout autant que polyphonique de la scène. Jack dirige le stylo qu'il tient en chef d'orchestre, reproduisant les mouvements qu'il faisait avec son micro. Il commence à déceler le son d'un coup de feu avant celui d'un pneu qui explose et le saut (blow out) dans l'eau de la rivière. Tel les personnages des films de Dario Argento (cette fois j'ai vu L'Oiseau au plumage de cristal), le témoin part enquêter sur le mort qu'il a découvert, en parallèle à celle de la police.

La version du récit de Jack ne correspond en rien à ce qu'il lit dans la presse le lendemain. Dans ce récit en Rashomon, Le conseiller du gouverneur écrit une toute autre histoire, très lisse, très propre où Sally a disparu, une histoire rassurante et qui renvoie aux théories du complot. Enfin, troisième vision, celle de Manny Karp (Dennis Franz) qui apporte des images cette fois. Dans une conférence de presse, Manny Karp prétend avoir testé sa nouvelle caméra, précisément à cet endroit et à ce moment, une variation du film de Zapruder. Des images en noir et blanc du film de Karp sont publiées dans un magazine. Jack les découpe pour revenir à cette scène primitive pour faire coïncider les sons qu'il a enregistrés avec les images de Karp afin de voir si elles correspondent au récit inventé par le conseiller pour le grand public.

Toute une réflexion sur les images est à l’œuvre dans Blow out, avec une grande ironie de la part de Brian De Palma. La scène du navet qui ouvre son film, en forme de courte déambulation prenant le point de vue du tueur (caméra subjective) est reprise plus tard avec Burke (John Lithgow) le tueur à gages engagé par un adversaire du gouverneur. Ce tueur à gages suit Sally de la gare de la même manière que l'assassin dans le film dans le film. Il suit ainsi une blonde aux cheveux bouclés habillée de manière vulgaire dans les rues mal éclairées, et la tue. Une image peut en cacher une autre et une blonde vulgaire n'est pas forcément Sally. Tout Blow out est composé de scènes de faux-semblants qui masquent la réalité de ce que le spectateur voit. Peu importe que le spectateur devine la réalité avant le personnage, l'important est de lancer des embûches aux protagonistes.

Le seul plan séquence de Blow out est d'une simplicité abyssale et elle est aussi belle que troublante. Jack est dans son studio, il travaille sur ses bandes sonores pour finaliser le film qui va révéler au public le complot. La caméra de Brian De Palma est au centre de la pièce et commence un panoramique sur son axe pour filmer les appareils de Jack. Ce dernier comprend que ses bandes magnétiques ont été effacées. Avec énervement, il en saisit une, puis une autre, jetant les cartons qui les contiennent au sol, transformant le studio en capharnaüm. Mais c'est le son qui frappe dans cette séquence, les sons « vides » des bandes emplissent toute la piste sonore dans un effet bruyant qui touche au fantastique, impossible de ne pas penser aux additions sonores de Jean-Luc Godard ou plus simplement à la bataille de la machine contre l'homme dans le finale de 2001 l'odyssée de l'espace.


L'imbrication des deux premières scènes, soit l'image d'un crime avec un son manquant suivi du son d'autre crime avec les images manquantes se confrontent donc à Burke qui prend en charge le point de vue. L'habituelle cène de déambulation dans la gare en plein jour puis sur un monument de Philadelphie la nuit de Liberty Day passe d'un cadre objectif à subjectif. C'est aussi le passage de moments comiques proches du burlesque (le casting de filles pour faire un cri) au drame (l'enregistrement en direct par Jack de Sally). L'un dans l'autre, les deux films seront complets à la fin de Blow out, le film d'horreur bon marché comme celui de la preuve de l'assassinat du gouverneur, mais le seul à en connaître le secret de fabrication et de production est Jack, terré dans son mutisme devant le résultat final.





































Aucun commentaire: