jeudi 19 juillet 2018

Suspiria (Dario Argento, 1977)

En même temps que j'ai regardé les films de Brian De Palma de sa trilogie argentique (Pulsions, Blow out, Body double), j'ai vu les premiers films de Dario Argento ressortis cet été en salles. Période argentique, trois films sur le cinéma mais aussi où les emprunts aux films de Dario Argento sont évidents, Brian De Palma n'a pas recyclé que les motifs hitchcockiens mais aussi certains éléments des films de Dario Argento, dans L'Oiseau au plumage de cristal, Le Chat a neuf queues, Quatre mouches de velours gris, Les Frissons de l'angoisse, notamment cette idée du témoin candide d'un meurtre, le travestissement, les longues déambulations et sans doute bien d'autres choses.

Seulement voilà, je ne sais pas quoi écrire sur ces films de Dario Argento et aujourd'hui j'ai vu Suspiria, pour l'instant la chose la plus dingue du cinéaste italien (mais je débute, peut-être a-t-il fait des films encore plus malsains après). Suspiria, je peux écrire dessus parce que je n'ai pas à suivre une histoire policière où je ne comprends rien. Dans Suspiria, Dario Argento prend à peine le temps de raconter une histoire (je pense que Luca Guadagnino, le réalisateur de la bluette gay Call me by your name, se fera un plaisir a contrario de tout expliquer en long large et en travers, dans le remake du film dont la sortie est prévue en novembre 2018).

La musique stridente de Goblin, un mélange atonal de percussion sourde, de claviers aigus, envahit le court générique où une voix annonce qu'une ballerine américaine nommée Suzy Bennen (Jessica Harper, mauvaise comme tout), elle débarque de New York à Fribourg. Elle doit entrer dans une école de danse. Cette voix lance donc ce que l'on ne peut pas comprendre sans les images. En sortant de l'aéroport, une pluie diluvienne l'attaque, elle est trempée jusqu'aux os et aucun taxi ne veut la prendre. Elle réussit enfin à monter dans l'un et se dirige, non sans peine, vu que le chauffeur n'y met pas du sien, à l'école de ballet (elle porte le nom d'Erasmus).

Voilà pour le scénario, le reste de Suspiria est sans doute racontable, mais cela n'a aucune importance, au moins pendant une heure. C'est l'abstraction la plus radicale que cherche Dario Argento dans cette immense maison où de nombreuses danseuses viennent prendre des cours (et aussi quelques danseurs dont l'Espagnol Miguel Bosé qui a donc fait un autre film avant de jouer le juge travesti dans Talons aiguilles de Pedro Almodovar. Par ailleurs, Udo Kier a un minuscule rôle dans la dernière partie, hors de la maison). L'accueil dans cette maison et sous cette pluie battante est aussi désagréable que sa sortie de l'aéroport.

Suzy aperçoit dans l'ouverture de la porte cochère, une jeune femme qui crie à quelqu'un situé à l'intérieur au sujet du « secret derrière la porte », avant de s'enfuir dans une forêt de bouleaux qu'elle traverse de gauche à droite du cadre (un cinémascope) à peine éclairée par les phares du taxi de Suzy. Un secret se cache donc derrière la porte comme disait Fritz Lang. Mais justement, la porte de la demeure n'a pas pu encore être ouverte à notre ballerine qui rebrousse chemin avant de revenir le lendemain, quand il fait jour et beau, reçue avec un quelque reproche dans la voix par Madame Blanc (Joan Bennett), une femme habillée tout en noir.

Madame Blanc est l'archétype de la femme sévère et dominatrice, une variation de Marlène Dietrich dans un cabaret, vêtue comme un homme, elle porte les cheveux courts. Cette femme costaude domine l'école de danse où les femmes sont en immense majorité. On remarque seulement deux danseurs (dont Miguel Bosé). Madame Blanc s'habille donc en homme, elle est en cela la partenaire idéale de la directrice Miss Tanner (Alida Valli), femme sans âge et habillée comme au siècle dernier. Miss Tanner est très fardée, porte de nombreux bijoux, parle dans une langue soutenue, telle une aristocrate. Ces deux femmes ont beau sourire, ce sourire trop avenant cache quelque chose.

On trouve quelques autres hommes que les danseurs. Le pianiste par exemple, un aveugle guidé par un berger allemand aux yeux rouges, le cuisinier qui ne dira jamais rien, aux dents entièrement refaites comme le raconte Madame Blanc puis un enfant blond au regard fasciné et au mutisme énigmatique. On remarque que dans cette société de femmes, aucun d'eux n'a de fonction masculine, qu'ils portent tous des handicaps physiques, qu'ils sont immatures, qu'ils ne sont que des domestiques sans prérogatives. Le personnage de Miguel Bosé est quant à lui interrogé sur sa virilité sur laquelle plusieurs danseuses émettent des doutes.

Mais plus que ces personnages bizarres, c'est la demeure qui est le centre du mystère de Suspiria. Dario Argento la filme sous toutes les coutures et crée un labyrinthe infini de son architecture. Ses plans sont extrêmement cadrés, il filme le carrelage symétrique, les verrières, les portes, les escaliers comme autant de lieux, recoins et pièces qui ne délivrent aucun des secrets qui semblent enfouis depuis des années. Plus que cela, ce sont les couleurs, rouges et vert essentiellement, qui participent de ce mystère dans lequel Suzy plonge sans en comprendre les codes, pas plus que le spectateur qui doit se perdre dans cette maison.

Des femmes meurent dans des morts atroces. L'abstraction évoquée plus haut est à son comble dans la mise en scène de ces meurtres. Une femme est attrapée par une créature velue, un long fil est mis autour de son cou, elle tombera de la verrière et sera pendue à quelques centimètres du sol, du sang trop rouge pour être du sang coule sur tout son corps en filament. Plus tard, une danseuse sera perdue dans une pièces remplie de ressorts en ferraille. Elle aura erré dans des couleurs aux couleurs rouge, orange, bleu, vert. Sans oublier le déluge d'asticots venus du grenier et le pianiste dévoré par son propre chien dans une immense place (qui me fait penser à celle au début des Frissons de l'angoisse).


Il y a quelque chose de follement amusant à découvrir le baroque flamboyant déployé par Dario Argento pour créer ces scènes de meurtre. Amusant parce qu'elles semblent être autonomes du récit qu'il élude le temps de ces scènes, bien plus que dans les quatre précédents films cités. C'est de l'art pur, à l'image des tableaux abstraits aux couleurs criardes qui ornent les murs de la demeure maléfique. Puis dans les 20 dernières minutes, le cinéaste tempère son délire visuel et donne l'explication de tout cela. Udo Kier explique à Suzy de quoi il en retourne et Suzy ouvre enfin cette porte derrière laquelle se trouve ce secret, concession scénaristique à un film qui m'a surpris par sa force.







































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