En
même temps que j'ai regardé les films de Brian De Palma de sa
trilogie argentique (Pulsions, Blow out, Body
double), j'ai vu les
premiers films de Dario Argento ressortis cet été en salles.
Période argentique, trois films sur le cinéma mais aussi où les
emprunts aux films de Dario Argento sont évidents, Brian De Palma
n'a pas recyclé que les motifs hitchcockiens mais aussi certains
éléments des films de Dario Argento, dans L'Oiseau au plumage de
cristal, Le Chat a neuf queues, Quatre mouches de
velours gris, Les Frissons de l'angoisse, notamment cette
idée du témoin candide d'un meurtre, le travestissement, les
longues déambulations et sans doute bien d'autres choses.
Seulement
voilà, je ne sais pas quoi écrire sur ces films de Dario Argento et
aujourd'hui j'ai vu Suspiria, pour l'instant la chose la plus
dingue du cinéaste italien (mais je débute, peut-être a-t-il fait
des films encore plus malsains après). Suspiria, je peux
écrire dessus parce que je n'ai pas à suivre une histoire policière
où je ne comprends rien. Dans Suspiria, Dario Argento prend à
peine le temps de raconter une histoire (je pense que Luca
Guadagnino, le réalisateur de la bluette gay Call me by your
name, se fera un plaisir a contrario de tout expliquer en long
large et en travers, dans le remake du film dont la sortie est prévue
en novembre 2018).
La
musique stridente de Goblin, un mélange atonal de percussion sourde,
de claviers aigus, envahit le court générique où une voix annonce
qu'une ballerine américaine nommée Suzy Bennen (Jessica Harper,
mauvaise comme tout), elle débarque de New York à Fribourg. Elle
doit entrer dans une école de danse. Cette voix lance donc ce que
l'on ne peut pas comprendre sans les images. En sortant de
l'aéroport, une pluie diluvienne l'attaque, elle est trempée
jusqu'aux os et aucun taxi ne veut la prendre. Elle réussit enfin à
monter dans l'un et se dirige, non sans peine, vu que le chauffeur
n'y met pas du sien, à l'école de ballet (elle porte le nom
d'Erasmus).
Voilà
pour le scénario, le reste de Suspiria est sans doute
racontable, mais cela n'a aucune importance, au moins pendant une
heure. C'est l'abstraction la plus radicale que cherche Dario Argento
dans cette immense maison où de nombreuses danseuses viennent
prendre des cours (et aussi quelques danseurs dont l'Espagnol Miguel
Bosé qui a donc fait un autre film avant de jouer le juge travesti
dans Talons aiguilles de Pedro Almodovar. Par ailleurs, Udo
Kier a un minuscule rôle dans la dernière partie, hors de la
maison). L'accueil dans cette maison et sous cette pluie battante est
aussi désagréable que sa sortie de l'aéroport.
Suzy
aperçoit dans l'ouverture de la porte cochère, une jeune femme qui
crie à quelqu'un situé à l'intérieur au sujet du « secret
derrière la porte », avant de s'enfuir dans une forêt de
bouleaux qu'elle traverse de gauche à droite du cadre (un
cinémascope) à peine éclairée par les phares du taxi de Suzy. Un
secret se cache donc derrière la porte comme disait Fritz Lang. Mais
justement, la porte de la demeure n'a pas pu encore être ouverte à
notre ballerine qui rebrousse chemin avant de revenir le lendemain,
quand il fait jour et beau, reçue avec un quelque reproche dans la
voix par Madame Blanc (Joan Bennett), une femme habillée tout en
noir.
Madame
Blanc est l'archétype de la femme sévère et dominatrice, une
variation de Marlène Dietrich dans un cabaret, vêtue comme un
homme, elle porte les cheveux courts. Cette femme costaude domine
l'école de danse où les femmes sont en immense majorité. On
remarque seulement deux danseurs (dont Miguel Bosé). Madame Blanc
s'habille donc en homme, elle est en cela la partenaire idéale de la
directrice Miss Tanner (Alida Valli), femme sans âge et habillée
comme au siècle dernier. Miss Tanner est très fardée, porte de
nombreux bijoux, parle dans une langue soutenue, telle une
aristocrate. Ces deux femmes ont beau sourire, ce sourire trop
avenant cache quelque chose.
On
trouve quelques autres hommes que les danseurs. Le pianiste par
exemple, un aveugle guidé par un berger allemand aux yeux rouges, le
cuisinier qui ne dira jamais rien, aux dents entièrement refaites
comme le raconte Madame Blanc puis un enfant blond au regard fasciné
et au mutisme énigmatique. On remarque que dans cette société de
femmes, aucun d'eux n'a de fonction masculine, qu'ils portent tous
des handicaps physiques, qu'ils sont immatures, qu'ils ne sont que
des domestiques sans prérogatives. Le personnage de Miguel Bosé est
quant à lui interrogé sur sa virilité sur laquelle plusieurs
danseuses émettent des doutes.
Mais
plus que ces personnages bizarres, c'est la demeure qui est le centre
du mystère de Suspiria. Dario Argento la filme sous toutes
les coutures et crée un labyrinthe infini de son architecture. Ses
plans sont extrêmement cadrés, il filme le carrelage symétrique,
les verrières, les portes, les escaliers comme autant de lieux,
recoins et pièces qui ne délivrent aucun des secrets qui semblent
enfouis depuis des années. Plus que cela, ce sont les couleurs,
rouges et vert essentiellement, qui participent de ce mystère dans
lequel Suzy plonge sans en comprendre les codes, pas plus que le
spectateur qui doit se perdre dans cette maison.
Des
femmes meurent dans des morts atroces. L'abstraction évoquée plus
haut est à son comble dans la mise en scène de ces meurtres. Une
femme est attrapée par une créature velue, un long fil est mis
autour de son cou, elle tombera de la verrière et sera pendue à
quelques centimètres du sol, du sang trop rouge pour être du sang
coule sur tout son corps en filament. Plus tard, une danseuse sera
perdue dans une pièces remplie de ressorts en ferraille. Elle aura
erré dans des couleurs aux couleurs rouge, orange, bleu, vert. Sans
oublier le déluge d'asticots venus du grenier et le pianiste dévoré
par son propre chien dans une immense place (qui me fait penser à
celle au début des Frissons de l'angoisse).
Il
y a quelque chose de follement amusant à découvrir le baroque
flamboyant déployé par Dario Argento pour créer ces scènes de
meurtre. Amusant parce qu'elles semblent être autonomes du récit
qu'il élude le temps de ces scènes, bien plus que dans les quatre
précédents films cités. C'est de l'art pur, à l'image des
tableaux abstraits aux couleurs criardes qui ornent les murs de la
demeure maléfique. Puis dans les 20 dernières minutes, le cinéaste
tempère son délire visuel et donne l'explication de tout cela. Udo
Kier explique à Suzy de quoi il en retourne et Suzy ouvre enfin
cette porte derrière laquelle se trouve ce secret, concession
scénaristique à un film qui m'a surpris par sa force.
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