Quand
j'avais regardé le film de Roy Andersson au titre si extravagant
mais tellement vain, je m'étais franchement ennuyé, bien plus qu'à
Nous les vivants, sauf à une séquence qui débarque sans
crier gare au bout de 40 minutes. Jusqu'à présent l'art consommé
et surfait du plan séquence du cinéaste suédois s'était contenté
de prendre dans le cadre quelques personnages qui débitaient leurs
petits dialogues sur un ton monocorde. Tout à coup, pendant dix
minutes Un pigeon perché sur une branche philosophait sur
l'existence se met à respirer.
Plan
séquence, la caméra est au fond de la salle, un café de grande
taille, en arrière plan les portes et vitres, à droite le bar avec
son personnel, des tables sont occupées par des consommateurs. On
s'embrasse, on joue au flipper, on boit silencieusement sa bière. Le
duo de représentants vu pendant tout le reste du film fait son
entrée. Ils continuent de vendre les gadgets de farce et attrape,
toujours avec la démonstration de l'effet comique. Tandis qu'ils
montrent aux clients les articles, deux soldats ouvrent grand la
porte.
C'est
l'irruption dans le contemporain gris de la Suède de Roy Andersson
d'une image du passé. On constate que les soldats portent un
uniforme ancien, en l'occurrence celui de la Suède impériale au
début du 18e siècle quand le souverain était le maître de toute
la Scandinavie mais aussi des pays baltes et d'une partie de
l'Allemagne du Nord. Ce roi de Suède, Karl XII, est renommé et en
12 minutes, le cinéaste décide de résumer sa vie avec pratiquement
aucun dialogue, ce qui est un tour de force qui dynamise le film.
Une
fois les portes ouvertes, un officier à cheval pénètre sur sa
monture et demande violemment aux femmes de quitter le lieu. Il crie
contre un joueur de flipper qu'il lacère de coups de badine. Le roi
arrive enfin, il est interprété par l'artiste circassien Viktor
Gyllenberg, cheveux roux, peau d'une grande blancheur. Trois soldats
se mettent à quatre pattes pour former un escalier afin que le roi
puisse descendre de son cheval.
La
réputation de Karl XII est celle d'un souverain qui n'aimait pas les
femmes, il fait demander un verre d'eau pour se rafraîchir. Jamais
le roi ne s'adresse directement aux Suédois de la période
contemporaine. Il exige que le jeune garçon de café, en chemise
blanche (la virginité) lui serve à boire, enfin le roi parle
directement à ce jeune homme dont il semble instantanément tomber
amoureux, le fixant et lui tenant délicatement la main.
En
arrière plan, les soldats traversent de gauche à droite le cadre,
allant à la guerre contre la Russie de Pierre le Grand, chantant la
gloire de Karl XII. Le film reviendra quelques minutes plus tard sur
Karl XII, cette fois défait par l'armée russe, les soldats qui
reviennent de guerre sont claudiquant et bien moins nombreux. Le roi
gît sur son cheval, agonisant, il est revenu voir son jeune homme
qui n'est plus là. Il se rêvait immense, il a eu droit à un biopic
de douze minutes.
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