Les
Lumières de la ville est la grande bataille de Charles Chaplin
sur un cinéma sonore qui s'oppose au cinéma parlant. Ce dernier a
remporté la bataille à Hollywood et le cinéaste est le dernier à
croire que le cinéma peut encore se passer de dialogues. Dès
l'ouverture du film, il stigmatise le babillage des acteurs. Tout
commence avec l'inauguration d'une statue, trois endimanchés
donnent, l'un après l'autre, un discours. Chacun s'approche du micro
et ce ne sont pas des mots qui se font entendre mais des grincements
(à l'oreille ils ressemblent à ceux des Martiens de Tim Burton).
Quand ils dévoilent la statue, ils se rendent compte qu'un importun
a choisi de dormir là. Ils l'engueulent, Chaplin filme les visages
furibards des officiels, des policiers et de la foule devant une
telle attitude, tout est interrompu par l'hymne national et reprend
dès que c'est fini.
C'est
évidemment très drôle mais cela sert à Charles Chaplin de preuve
que l'on peut encore faire rire avec des situations sans prononcer un
seul mot. On peut aussi donner dans le sentimentalisme désuet, même
pour 1931. La jeune femme (Virginia Cherrill) qu'il croise au coin
d'un rue et qui vend des fleurs est aveugle. Si elle prend le
vagabond pour un millionnaire, c'est parce qu'elle entend les portes
d'une voiture claquer (gros plan sur son oreille) et qu'elle
s'imagine qu'il est très riche, cette coïncidence auditive est
l'unique raison pour laquelle Chaplin fait de son héroïne une
aveugle. En fin de film, une fois qu'elle aura retrouver la vue grâce
à un miracle médical, elle aura ouvert un magasin de fleurs avec sa
grand-mère, c'est grâce à la voix des clients qui sortent d'une
belle voiture, elle n'en reconnaît aucune de ces voix qui viennent
acheter des bouquets quand le vagabond s'est contenté d'une simple
fleur.
La
grand-mère aurait pu comprendre que ce prétendu millionnaire est en
réalité un homme pauvre. Mais l'art retors des quiproquos dont
Chaplin a le secret conduit à ce que quand il rend visite à la
jeune aveugle qui vend des petites fleurs dans ce coin de rue des
beaux quartiers ou quand il se rend chez elle dans les quartiers
pauvres, la grand-mère est toujours absente. Dans ce petit logement,
l'une des attractions de la jeune femme est d'écouter de la musique
sur le phonographe, l'un des autres éléments sonores concrets des
Lumières de la ville. La musique omniprésente, composée par
le cinéaste, n'est qu'un élément sonore comme un autre. Elle
appuie sur l'émotion que doit procurer la vie difficile de la jeune
femme, sur sa pauvreté et son incapacité à ne serait-ce que régler
le loyer. C'est en secret que le vagabond apprend son malheur en
tombant sur une lettre du propriétaire que la grand-mère à caché
à sa petite fille.
La
première partie des Lumières de la ville se déroule en
quelques jours, deux ou trois. Charles Chaplin décrit chaque partie
de la première journée (morning, evening, night) en les axant sur
des informations mais aussi sur des rencontres. La deuxième partie
est concentrée sur la quête d'argent pour aider la jeune femme. Le
vagabond devient d'abord un éboueur de rue, passant son temps à
ramasser les excréments des chevaux. Puis, par hasard, il devient
boxeur offrant à son cinéma l'une de ses meilleurs scènes. Les
combats particulièrement bien chorégraphiés sont filmés en longs
plans, le ballet des deux combattants et de l'arbitre ne sont coupés
que par la cloche qui annonce le début et la fin des rounds. Là
encore ce son unique permet au burlesque physique de se développer,
c'est une accélération des mouvements, de la danse sur le ring au
fur et à mesure que le nombre de gong augmente quand le vagabond
enroule le fil de la sonnette autour de son cou.
Il
perd le match et les 50 $ en jeu. Pour aider la jeune femme, il ne
lui reste plus qu'à demander à son nouveau meilleur ami, le
millionnaire excentrique (Harry Myers) que le vagabond rencontre sur
un quai le sauvant d'une tentative de suicide (amusant que ce soûlard
veuillent se jeter à l'eau lui qui aime tant l'alcool). Les superbes
séquences entre eux sont les seules où le son n'a aucune
interférence. C'est un burlesque à l'ancienne, l'alcool contre la
sobriété. Quand le millionnaire est ivre, il est le meilleur ami du
vagabond, au grand dam de son majordome (Allan Garcia) qui veut
chasser Charlot. Sobre, il ne le reconnaît pas. La plus grande
logique du film est que cet homme de la nuit va permettre à la jeune
femme de découvrir enfin la lumière du jour et elle reconnaîtra le
vagabond non pas grâce à sa voix, mais en lui tenant la main, cette
même main qui a si longtemps tenu la petite fleur achetée au coin
de la rue.
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