lundi 2 juillet 2018

Crazy day (Robert Zemeckis, 1978)

Sur la devanture du studio de télévision, un ouvrier perché sur son escabeau remplace in extremis le E par un A. Ce soir du samedi 8 février 1964, les Beatles, avec un A et non un E, doivent donner leur premier concert pour les Américains, ce sera à New York dans l'émission la plus populaire de la télévision, le Ed Sullivan Show. Le présentateur vedette (incarné par Will Jordan) avertit les vigiles du risque d'hystérie collective des spectatrices présents dans la salle, comme dix ans plus tôt elles s'affolaient devant Elvis Presley.

I wanna hold your hand (chanson entendue dans le générique d'ouverture composé d'images d'archives du groupe), rebaptisé Crazy day lors de sa sortie en France sept ans après les USA et après son premier succès chez nous A la poursuite du diamant vert, est le premier film de Robert Zemeckis. Film éminemment burlesque, totalement cartoonesque, il suit un petit groupe d'adolescents du New Jersey, qui partent de leur banlieue pour rejoindre New York et tenter d'assister à ce show quand bien même aucun n'a d'invitation.

Tout commence chez un disquaire où l'arrivage du nouvel album des Beatles tourne à prise d'empoigne. C'est l'occasion de présenter les quatre amies. La fan absolue Rosie (Wendie Jo Sperber) qui connaît tout du groupe et qui est amoureuse de Paul McCartney (qu'elle appelle Paul, tout simplement), petite bonne femme, toujours armée de gants rouges, elle est la plus engagée pour aller à New York. Son moyen de se rendre au show est de gagner une place grâce à un jeu radio, elle court d'une cabine téléphonique à l'autre, le transistor à l'oreille.

Ses deux amies sont moins dingues des Beatles. Grace (Theresa Saldana) veut les prendre en photo dans l'espoir d'être publiée dans Life. Pam (Nancy Allen) prétend ne pas aimer les Beatles, elle doit se marier le soir-même et ne veut pas quitter le New Jersey mais va se laisser embarquer dans l'aventure tout comme Janis (Susan Kendall Newman), la fille du disquaire qui méprise les chansons faciles des Beatles et n'aiment que Bob Dylan ou Peter Paul & Mary. Elle veut manifester devant la télé pour interdire la venue du groupe.

Quatre filles, comme les quatre membres des Beatles, qui doivent trouver un chauffeur. Grace convainc rapidement le timide Larry Dubois (Marc McClure) de devenir leur chauffeur, bien qu'il n'ait pas le permis, mais son père, croque-mort, a un corbillard. Le véhicule, selon les filles, pourra très bien passer pour une limousine et elles pourront accéder à l'hôtel où le groupe réside sans se faire arrêter par les policiers. Et le mieux est que leur méthode fonctionne, la limousine corbillard se faufile au milieu des fans et les voilà près de leurs idoles.

Contrairement à la bande des quatre filles formée dès le début du film, le quatuor de garçons se crée au gré des rencontres. Comme Janis, Smerko (Bobby Di Cicco) déteste les Beatles. Moins leur musique que leur tenue, Smerko les traite de tantouze, lui qui n'aime que le rock et les blousons de cuir. Smerko est le macho de base, franchement couillon. Ce qu'il exècre chez les Beatles est que les filles en soient fans, il ne comprend pas qu'elles puissent les préférer à lui, il se sent blessé dans sa virilité si longuement construite dans ses années collège.

Il se moque de Larry pendant le trajet. Mais il pourrait se moquer des deux autres garçons fans également des Beatles. Le binoclard Richard (Eddie Deezen), grand maigre en costumes, squatte une chambre dans l'hôtel. Il se surnomme Ringo, le vrai prénom du batteur. Il collectionne tout sur les Beatles, jusqu'à découper un carré de gazon où Paul aurait marché, « je ne sais pas précisément quel brin d'herbe il a foulé » dit-il avec grande fierté à Rosie, son absolue alter ego. Chacun se vante d'être le plus grand connaisseur des Beatles, forcément ils vont tomber amoureux l'un de l'autre.

Le quatrième garçon est bien plus jeune, Eddie (James Houghton) a 14 ans. Il a des billets pour se rendre au show, mais son père, un ancien Marine, refuse de les donner tant qu'il ne s'est pas fait couper les cheveux. La scène chez le coiffeur ressemble à une condamnation à la chaise électrique, filmé comme un film d'angoisse, il sera sauvé de la coupe par Janis et Smerko. Ce jeune Eddie est sans doute le double cinématographique de Robert Zemeckis, il avait 14 ans quand ce show a eu lieu et son père, très conservateur, était Marine. Crazy day est le récit de certains des souvenirs de son adolescence.

Arriver à temps au show des Beatles est une course poursuite ininterrompue pendant 90 minutes, une course contre la montre horizontale et verticale. Horizontale avec ce corbillard qui emboutit d'autres voitures, dangereux quand Larry se saoule, verticale avec les ascenseurs qu'empruntent Rosie et Richard pour accéder à l'étage du groupe sans jamais y parvenir, toujours empêché par une panne, par des adultes peu compréhensifs, des flics obtus (l'un d'eux est joué par Dick Miller, l'acteur fétiche de Joe Dante).

Pam prend aussi cet ascenseur qui la mène directement dans la suite des Beatles. Elle qui n'avait pas envie de venir, qui prévoyait une tranquille vie de mère au foyer, tombe en pâmoison devant les instruments des Beatles. C'est une vraie scène sexuelle, chose rare chez Robert Zemeckis, quand elle touche la basse de Paul McCartney, qu'elle la lèche avec volupté, qu'elle la glisse entre ses jambes dans un simulacre extatique. Avant que le burlesque ne reprenne le dessus quand le groupe rentre dans la chambre mais surtout, elle comprend qu'elle ne veut plus de la vie qui l'attend.


Quand les Beatles retournent dans leur suite, on ne les voit jamais. Quatre figurants jouent le groupe, on les voit de dos, on voit leur pieds. Pour le finale au Ed Sullivan Show, Robert Zemeckis a une idée simple, les moniteurs des caméras montrent l'image réelle du show en noir et blanc. L'effet est efficace, il est le premier dans son cinéma à mélanger les « archives » avec ses acteurs, plus simplement à faire du corps de ses interprètes des effets spéciaux, la quintessence de l’œuvre de Robert Zemeckis qui ne fera qu'augmenter jusqu'au déraisonnable.



























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