En
1992, Françoise Calvez directrice du Crac Scène Nationale de
Valence lançait la dernière édition de Cinéma et Littérature
avec pour thème « La dernière œuvre ». Deux films
d'Ingmar Bergman étaient présentés, Après
la répétition et Fanny
et Alexandre. Depuis, il a
conçu d'autres dernières œuvres, chaque fois pour la télévision.
Saraband
était l'un des premiers films à avoir été projeté en numérique
en France, de là à dire que le cinéaste de 96 ans restait l'un des
plus grands modernes est un pas que je franchirai pas, mais
aujourd'hui dix ans après sa mort, j'avais envie de revoir Saraband.
Trente
ans après Scènes de la vie
conjugale (que je n'aime pas
beaucoup), il retrouve Marianne (Liv Ullmann) et Johan (Erland
Josephson) dans la vieille maison de ce dernier (qu'on découvre
d'abord dans une photo de 1973). Il vit là reclus depuis des années,
en ermite, en vieux bougon entouré de livres. Entourée de photos,
Marianne déclare dans le prologue face caméra son envie de revoir
son ancien mari, sans réellement en comprendre les raisons. Elle
fait 340 km et arrive dans la maison, Johan est assoupi sur son
bureau. S'adressant encore une fois au spectateur, elle le réveille
en lui tapotant l'épaule.
Il
a chez Johan quelque chose de l'Isak des Fraises
sauvages et notamment sa
cuisinière Agda – même prénom, personnage qu'on ne verra jamais.
Il est un peu plus vieux que le personnage de Victor Sjöström, mais
comme lui, il s'est éloigné de ses enfants autant des deux filles
qu'il a eu avec Marianne, l'un habite en Australie, l'autre est
internée dans un hôpital psychiatrique, que de son premier film
Henrik (Börje Ahlstedt) qui a le même âge que Marianne. Veuf, il
vit avec Karin (Julia Dufvenius) sa fille de 19 ans dans la cabane au
bord du lac.
Le
film est divisé en 10 chapitres comme autant de discussions entre
deux personnages, Marianne et Johan, Marianne et Karin, Johan et
Karin, Johan et Henrik, Henrik et Marianne etc. Les arguments sont
énoncés sans ambages entre eux, mais c'est la haine entre Henrik et
son père qui est le plus violente Ce dernier déclare avoir toujours
méprisé ce fils « trop gros et trop gentil ». C'est
Anna, l'épouse d'Henrik qui semble au centre de cette haine, on voit
régulièrement sa photo avec un sourire énigmatique. Un fantôme du
passé que la visite de Marianne fait resurgir.
Bach
ou Wagner ? Le fils écrit depuis des années un livre sur Bach,
il en joue sur l'orgue de l'église du coin, le père écoute Wagner
les oreilles collées aux enceintes, un portrait du compositeur
accroché au mur. La musique tient une place importante et crée
l'enjeu narratif qui sous-tend les relations entre le père et le
fils. Karin, violoncelliste prometteuse, doit-elle accepter cette
formation à Hambourg ? Elle a pour l'instant comme professeur
son père, elle ne sait si pas si elle doit l'abandonner. Johan, tout
à sa haine, veut l'encourager à quitter ce père.
La
lecture d'une lettre d'Anna par Karin à Marianne ne résout pas
l'énigme et au contraire la creuse. Cette lettre écrite à Henrik
semble donner un terrible secret qui expliquerait le mépris du père
pour son fils, c'est peut-être que Henrik n'est pas le père de
Karin mais que Johan l'est. Comme le souligne Marianne, Johan a
souvent été infidèle. Juste après la lecture de cette lettre,
Henrik embrasse sa fille sur la bouche, pour lui faire comprendre
qu'il l'aime et qu'il ne veut pas qu'elle le quitte pour partir enfin
vivre sa vie comme elle en a décidé.
Marianne
est ici au centre d'une dispute familiale, une arbitre qui écoute
quand elle le peut toutes ces haines accumulées au fil des années.
La phrase clé dans Saraband
est « je veux sortir de ta vie ». Juste avant l'épilogue
où Marianne consulte une dernière ses nombreuses photos comme
autant de souvenirs, Johan et elle se retrouvent nus dans le lit et
il lui demande pourquoi elle est venue lui rendre visite « parce
qu'il me semblait que tu m'appelais ». Là Ingmar Bergman filme
les vieux corps de ses interprètes dans leur intimité,
l'ultime testament du cinéaste à son cinéma.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire