lundi 30 juillet 2018

Saraband (Ingmar Bergman, 2003)

En 1992, Françoise Calvez directrice du Crac Scène Nationale de Valence lançait la dernière édition de Cinéma et Littérature avec pour thème « La dernière œuvre ». Deux films d'Ingmar Bergman étaient présentés, Après la répétition et Fanny et Alexandre. Depuis, il a conçu d'autres dernières œuvres, chaque fois pour la télévision. Saraband était l'un des premiers films à avoir été projeté en numérique en France, de là à dire que le cinéaste de 96 ans restait l'un des plus grands modernes est un pas que je franchirai pas, mais aujourd'hui dix ans après sa mort, j'avais envie de revoir Saraband.

Trente ans après Scènes de la vie conjugale (que je n'aime pas beaucoup), il retrouve Marianne (Liv Ullmann) et Johan (Erland Josephson) dans la vieille maison de ce dernier (qu'on découvre d'abord dans une photo de 1973). Il vit là reclus depuis des années, en ermite, en vieux bougon entouré de livres. Entourée de photos, Marianne déclare dans le prologue face caméra son envie de revoir son ancien mari, sans réellement en comprendre les raisons. Elle fait 340 km et arrive dans la maison, Johan est assoupi sur son bureau. S'adressant encore une fois au spectateur, elle le réveille en lui tapotant l'épaule.

Il a chez Johan quelque chose de l'Isak des Fraises sauvages et notamment sa cuisinière Agda – même prénom, personnage qu'on ne verra jamais. Il est un peu plus vieux que le personnage de Victor Sjöström, mais comme lui, il s'est éloigné de ses enfants autant des deux filles qu'il a eu avec Marianne, l'un habite en Australie, l'autre est internée dans un hôpital psychiatrique, que de son premier film Henrik (Börje Ahlstedt) qui a le même âge que Marianne. Veuf, il vit avec Karin (Julia Dufvenius) sa fille de 19 ans dans la cabane au bord du lac.

Le film est divisé en 10 chapitres comme autant de discussions entre deux personnages, Marianne et Johan, Marianne et Karin, Johan et Karin, Johan et Henrik, Henrik et Marianne etc. Les arguments sont énoncés sans ambages entre eux, mais c'est la haine entre Henrik et son père qui est le plus violente Ce dernier déclare avoir toujours méprisé ce fils « trop gros et trop gentil ». C'est Anna, l'épouse d'Henrik qui semble au centre de cette haine, on voit régulièrement sa photo avec un sourire énigmatique. Un fantôme du passé que la visite de Marianne fait resurgir.

Bach ou Wagner ? Le fils écrit depuis des années un livre sur Bach, il en joue sur l'orgue de l'église du coin, le père écoute Wagner les oreilles collées aux enceintes, un portrait du compositeur accroché au mur. La musique tient une place importante et crée l'enjeu narratif qui sous-tend les relations entre le père et le fils. Karin, violoncelliste prometteuse, doit-elle accepter cette formation à Hambourg ? Elle a pour l'instant comme professeur son père, elle ne sait si pas si elle doit l'abandonner. Johan, tout à sa haine, veut l'encourager à quitter ce père.

La lecture d'une lettre d'Anna par Karin à Marianne ne résout pas l'énigme et au contraire la creuse. Cette lettre écrite à Henrik semble donner un terrible secret qui expliquerait le mépris du père pour son fils, c'est peut-être que Henrik n'est pas le père de Karin mais que Johan l'est. Comme le souligne Marianne, Johan a souvent été infidèle. Juste après la lecture de cette lettre, Henrik embrasse sa fille sur la bouche, pour lui faire comprendre qu'il l'aime et qu'il ne veut pas qu'elle le quitte pour partir enfin vivre sa vie comme elle en a décidé.


Marianne est ici au centre d'une dispute familiale, une arbitre qui écoute quand elle le peut toutes ces haines accumulées au fil des années. La phrase clé dans Saraband est « je veux sortir de ta vie ». Juste avant l'épilogue où Marianne consulte une dernière ses nombreuses photos comme autant de souvenirs, Johan et elle se retrouvent nus dans le lit et il lui demande pourquoi elle est venue lui rendre visite « parce qu'il me semblait que tu m'appelais ». Là Ingmar Bergman filme les vieux corps de ses interprètes dans leur intimité, l'ultime testament du cinéaste à son cinéma.


























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