Sans
la musique douceâtre de Pino Donaggio, sans les ralentis sur ces
lycéennes en train de se changer après avoir fait du volley, sans
ce plan séquence qui traverse les vestiaires à travers la vapeur
floue de l'eau chaude, la scène de la douche qui ouvre Carrie
ne serait pas l'un des plus beaux hommages à Psychose que
rend Brian De Palma à Alfred Hitchcock. Le but est d'aller des
visages souriants de ces jeunes filles au corps nu de Carrie White
(Sissy Spacek) dans une vision sensuelle touchant à l'érotisme. Le
visage extatique, le savon bleu passe sur sa poitrine, sur ses
cuisses, puis tombe et du sang dégouline. Carrie crie d'effroi
devant la vue de ce sang.
La
musique et le ralenti s'interrompent, le visage effrayé de Carrie
s'avance vers ses camarades de classe qui comprennent immédiatement
ce que Carrie ignorait, elle a ses règles et ne savait pas ce que
c'était. C'est une rude plongée vers le réalisme total après une
séquence fantasmée. Les filles se moquent toutes de Carrie, de sa
candeur et lui balancent au visage, sur son corps nu, des tampons et
des serviettes hygiéniques en lui hurlant dessus « plug it
up » (enfonce toi-le). Carrie est alors au milieu d'un
teen-movie violent (même si toutes les lycéennes sont jouées par
des actrices de 25 ans) et ne doit d'être sauvée que grâce à
l'intervention de sa prof de gym.
Cette
dernière, Miss Collins (Betty Buckley) console Carrie et punit les
autres élèves. Elles seront collées chaque jour de la semaine pour
une heure de sports. Si elles refusent, elles seront privées du bal
de fin d'année. Les deux têtes pensantes des filles sont divisées.
Chris (Nancy Allen) culpabilise du traitement infligé à Carrie,
elle convainc son petit ami Tommy (William Katt), le beau blond aux
cheveux bouclés d'inviter Carrie au bal de promo. Sue (Amy Irving)
quitte la classe de gym en espérant que les autres filles vont la
suivre. Elle rumine sa vengeance et élabore avec son mec Billy (John
Travolta) un plan diabolique. Le diable incarné et l'ange repenti.
Le
tout premier plan de Carrie est une plongée qui pourrait être
le point de vue de Dieu à moins que ce ne soit celui du Diable. La
religion, Margaret White (Piper Laurie) la mère de Carrie, s'y
vautre dedans jusqu'à plus soif. Bigote intransigeante, elle harcèle
ses voisines (dont la maman de Chris) avec ses bondieuseries. Quand
Carrie rentre chez elle, elle interroge sa mère sur l'absence
d'information sur ses premières règles. Margaret White la traite de
pécheresse, la frappe avec son missel et l'enferme dans un placard
où un Jésus sur un crucifix est aussi inquiétant que sa mère (ils
se ressemblent comme deux gouttes d'eau).
La
jeune fille désormais femme, selon sa mère, possède un pouvoir
surnaturel (on est d'abord dans un roman de Stephen King) dont elle
ignore la mesure. Là encore, Brian De Palma force le réalisme en
faisant emprunter les couloirs de la bibliothèque du lycée où
Carrie se renseigne sur la télékinésie. Le film fonctionne
toujours avec cette dualité, avant de mettre en scène, le cinéaste
développe de manière rationnelle chaque mouvement de son scénario.
Cela a pour but d'amplifier la tension à venir, d'en montrer le
processus créatif : la confection de la robe rose de Carrie, la
mise à mort du cochon pour en prendre le sang, la discussion entre
la prof, Sue et Tommy.
Carrie,
si timide, subissant l'emprise mortifère de sa mère, devient le
centre d'attraction. Miss Collins lui rappelle qu'elle peut lui faire
confiance, « trust me Carrie, you can trust me », lui
raconte son premier flirt mais on peut se demander si la prof de gym
n'est pas tout simplement attirée par la jeune femme, Tommy ne
comprend pas vraiment pourquoi sa copine lui demande d'inviter
Carrie, moquerie ou rédemption, ils vont ainsi au bal de promo
ensemble et après avoir longtemps insisté, ils danseront tous les
deux, enveloppés par la caméra circulaire de Brian De Palma.
Dans
un mouvement inverse, comme un retour vers la réalité après cette
danse fantasmée, après ce moment de grâce irréelle, le plan
diabolique de Chris s'abat sur Carrie. C'est une nouvelle douche qui
fait écho à celle du vestiaire (d'ailleurs le bal de promo se
déroule dans le gymnase adjacent les vestiaires), une douche de sang
de cochon que Carrie reçoit sur son corps, une vengeance dent pour
dent, sang pour sang et qui est suivie d'une encore plus terrifiante
vengeance sur tous ceux qui se sont moqué d'elle et qui vont périr
sous ses yeux exorbités.
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