mercredi 27 juin 2018

Un couteau dans le cœur (Yann Gonzalez, 2018)


J'avais laissé Vanessa Paradis en clone de Jeanne Moreau dans le piteux Maryline de Guillaume Gallienne (j'avoue avoir passé mon tour pour Chien de Samuel Benchetrit et Frost de Sharuna Bartas) et je trouve que les années 1970 finissantes lui vont bien. Les cheveux blonds, un peu raides, elle joue Anne, une réalisatrice qui tourne des films pornographiques, genre fécond dans cette France giscardienne et dont les titres qui ne cachent pas leur sujet. Sa spécialité est le porno gay, une niche pauvre dans le genre.

Et voici Archibald (Nicolas Maury) son fidèle assistant, le verbe haut, un peu vulgaire, une folle furieuse qui coache les jeunes acteurs qui s'apprêtent à tourner. « Toi, le slip jaune, c'est ta scène », même pas besoin de savoir son prénom. Quand un acteur a un peu du mal à bander, il appelle Bouche d'or (Pierre Pirol) qui vient pratiquer une fellation pour redonner de l'ardeur aux hardeurs. Et à côté d'Archibald se trouve Rabah (Jules Ritmanic) à la fois son assistant et son mignon (il porte une très belle et fine moustache).

La petite troupe s'active autour des trois acteurs du jours (on reconnaît Félix Maritaud, petit rôle dans 120 battements par minute, rôle principal dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet qui sort fin août). Le cameraman est interprété par Bertrand Mandico, barbe fournie, et ailleurs, dans la salle de montage, Loïs (Kate Moran), la femme d'Anne, leur relation est tendue dès le début du film et ne cessera d'empirer quand les événements viennent perturber la bonne ambiance de ces tournages fauchés mais joviaux.

On tue dans Un couteau dans le cœur, pas forcément avec un couteau et pas toujours dans le cœur. Les acteurs sont éliminés les uns après les autres dans une vision qui mêle le gore (ça saigne pas mal) et le trivial (mourir en baisant). Cette histoire de meurtres en série de peut aussi évoquer l'histoire LGBT dans une métaphore des ravages du Sida que l'on peut trouver à la fois sincère et formelle. On peut toujours trouver du sens politique là où il n'y a guère.

L'un des acteurs est tué pendant qu'Anne et son équipe visionnent les rushes du film, un autre dans une boîte de nuit, un troisième dans une bagnole. L'inspecteur Morcini (Yann Colette) et son collègue pataugent dans la semoule, il porte presque le même nom que l'inspecteur Morisini de L'Oiseau au plumage de cristal (qui ressort cette semaine). C'est un duo atypique du cinéma policier français qui ne décolle guère de son bureau et continue de causer pendant les morts s'accumulent

Le cinéma est un art mais le porno gay est surtout une industrie. Anne a l'idée de tourner de nouveaux films en rejouant les meurtres vécus par l'équipe. Dans cette mise en abyme farfelue, Archibald, perruque blonde sur la tête, joue Anne et remake les séquences qu'on vient de voir dans un style encore plus pauvre que les films et il prodigue un humour qui désarçonne le spectateur. Nicolas Maury est la star d'Un couteau dans le cœur, il était déjà dingue dans Les Rencontres d'après-minuit en soubrette manipulatrice.

Dans le premier film de Yann Gonzalez, les acteurs vedettes débordaient de tous les plans, là on se contente de Jacques Nolot et d'Elina Löwinsohn mais aussi de Romane Bohringer en 2CV. Dans l'une des séquences les plus singulières, Anne croise ces deux femmes dans une forêt mystérieuse à la recherche de la résolution de l'énigme, c'est la part poétique du cinéma de Yann Gonzalez, un goût de l'étrangeté parfois un peu forcée, mais en ces temps de disette, il n'y a pas mieux pour se secouer le cortex cinématographique.

Aucun commentaire: