Le
point d'exclamation du titre est essentiel. Bécassine (Emeline
Bayard) ne cessera jamais de s'exclamer sur tout ce que voit,
d'exprimer son étonnement et de vouloir découvrir le monde. Elle
est en tout point l'exacte opposée de Marie (Vimala Pons) née dans
le même hameau breton mais au destin plus prosaïque. Cette Marie,
du même âge que Bécassine, dans un burlesque sinistre mais
hilarant, subit les ordres de son père, elle doit aider au
remoulage, aux champs à tirer la charrue, à marner comme une bête,
ce qu'elle deviendra d'ailleurs.
Marie
était employée de la Marquise de Grand-Air (Karin Viard) pour
pouponner le bébé Loulotte, diminutif de Louise-Charlotte mais
Marie, quand le nourrisson pleure, lui fout des « torgnoles »
(ça peut pas faire de mal dit-elle avec en regardant presque droit
devant elle, la pauvre elle louche, on imagine les torgnoles que sont
père lui a flanqué), or Bécassine passait justement par là, la
remplace au pied levé et devient la nourrice de Loulotte. Elle
grimpe dans la belle voiture de Monsieur Proey-Minans (Denis
Podalydès), tout à la fois avoué et amant de la Marquise.
Comment
Bécassine est arrivée sur la route de la Marquise, cela est
l'occasion d'un prologue sur l'enfance (elle ressemble un peu à la
Jeanne de Bruno Dumont) puis l’adolescence de Bécassine. Comment
et pourquoi son oncle Corentin (Michel Vuillermoz), chasseur poète
(une chose inédite) lui fournit sa tenue si fameuse et lui offre un
arbre bleu, comment et pourquoi elle veut partir à Paris pour
découvrir la modernité, car si tout le monde vit dans le passé,
comme je le disais, Bécassine veut découvrir le monde.
Cette
borne sur laquelle elle s'assoit pour se confier à cet arbre bleu
indique la distance entre Paris et Clocher-les-bécasses, 473
kilomètres. Elle ne fera que quelques pas, mais c'est assez pour
partir à l'aventure et inventer un nouveau monde. Bécassine est une
sorte de Gaston Lagaffe de la campagne du début du 20e siècle. Ce
qui me permet d'en remettre une couche sur le film Gaston Lagaffe
qui pensait bien faire en modernisant l'univers de Franquin, c'est
Bruno Padalydès qui a bien raison de travailler le vieillot comme le
faisait Alain Resnais dans I want to go home en 1989.
Bécassine
se trompe dans le nom de Rastaqueros telle Bianca Catasfiore
(sympathique hommage à Tintin), le chant du coq au son de La
Marseillaise, la crotte de Dick le chien de la Marquise qu'elle
vouvoie, les noms des personnages, la brutale Madame Châtaigne
(Josiane Balasko) qui passe son temps à taper sur les coussins,
Madeleine la cuisinière frivole (Isabelle Candelier), c'est tout un
travail sur le langage (Bécassine prend au pied de la lettre chaque
expression) qui se joue, parfois avec le montage (passer du cri de
cochon aux parents qui ronflent).
Le
seul voyage vers Paris est avec des illuminations que montre
Proey-Minans, images plates qui ne plaisent pas autant que le
spectacle de Rastaqueros (Bruno Podalydès), l'homme qui fait rêver
les femmes du château et frémir les hommes. Personnage mythomane et
escroc, soi-disant aventurier son arrivée relance le récit, jusque
là bien sage, en contrepoint avec l'esprit terre-à-terre de
Bécassine. Ce simulacre, qui trouve son apogée avec le bal, la
stimule car contrairement au langage, elle le comprend et l'adopte.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire