samedi 23 juin 2018

Bécassine ! (Bruno Podalydès, 2018)


Le point d'exclamation du titre est essentiel. Bécassine (Emeline Bayard) ne cessera jamais de s'exclamer sur tout ce que voit, d'exprimer son étonnement et de vouloir découvrir le monde. Elle est en tout point l'exacte opposée de Marie (Vimala Pons) née dans le même hameau breton mais au destin plus prosaïque. Cette Marie, du même âge que Bécassine, dans un burlesque sinistre mais hilarant, subit les ordres de son père, elle doit aider au remoulage, aux champs à tirer la charrue, à marner comme une bête, ce qu'elle deviendra d'ailleurs.

Marie était employée de la Marquise de Grand-Air (Karin Viard) pour pouponner le bébé Loulotte, diminutif de Louise-Charlotte mais Marie, quand le nourrisson pleure, lui fout des « torgnoles » (ça peut pas faire de mal dit-elle avec en regardant presque droit devant elle, la pauvre elle louche, on imagine les torgnoles que sont père lui a flanqué), or Bécassine passait justement par là, la remplace au pied levé et devient la nourrice de Loulotte. Elle grimpe dans la belle voiture de Monsieur Proey-Minans (Denis Podalydès), tout à la fois avoué et amant de la Marquise.

Comment Bécassine est arrivée sur la route de la Marquise, cela est l'occasion d'un prologue sur l'enfance (elle ressemble un peu à la Jeanne de Bruno Dumont) puis l’adolescence de Bécassine. Comment et pourquoi son oncle Corentin (Michel Vuillermoz), chasseur poète (une chose inédite) lui fournit sa tenue si fameuse et lui offre un arbre bleu, comment et pourquoi elle veut partir à Paris pour découvrir la modernité, car si tout le monde vit dans le passé, comme je le disais, Bécassine veut découvrir le monde.

Cette borne sur laquelle elle s'assoit pour se confier à cet arbre bleu indique la distance entre Paris et Clocher-les-bécasses, 473 kilomètres. Elle ne fera que quelques pas, mais c'est assez pour partir à l'aventure et inventer un nouveau monde. Bécassine est une sorte de Gaston Lagaffe de la campagne du début du 20e siècle. Ce qui me permet d'en remettre une couche sur le film Gaston Lagaffe qui pensait bien faire en modernisant l'univers de Franquin, c'est Bruno Padalydès qui a bien raison de travailler le vieillot comme le faisait Alain Resnais dans I want to go home en 1989.

Bécassine se trompe dans le nom de Rastaqueros telle Bianca Catasfiore (sympathique hommage à Tintin), le chant du coq au son de La Marseillaise, la crotte de Dick le chien de la Marquise qu'elle vouvoie, les noms des personnages, la brutale Madame Châtaigne (Josiane Balasko) qui passe son temps à taper sur les coussins, Madeleine la cuisinière frivole (Isabelle Candelier), c'est tout un travail sur le langage (Bécassine prend au pied de la lettre chaque expression) qui se joue, parfois avec le montage (passer du cri de cochon aux parents qui ronflent).

Le seul voyage vers Paris est avec des illuminations que montre Proey-Minans, images plates qui ne plaisent pas autant que le spectacle de Rastaqueros (Bruno Podalydès), l'homme qui fait rêver les femmes du château et frémir les hommes. Personnage mythomane et escroc, soi-disant aventurier son arrivée relance le récit, jusque là bien sage, en contrepoint avec l'esprit terre-à-terre de Bécassine. Ce simulacre, qui trouve son apogée avec le bal, la stimule car contrairement au langage, elle le comprend et l'adopte.

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