lundi 4 juin 2018

Quel phénomène (Clyde Bruckman, 1929)

Harold Lloyd parle. J'avais laissé ses films en plan il y a un an et demi avec le muet En vitesse (1928) et le voici maintenant dans un long film parlant. Certes la technique est encore balbutiante, on décèle clairement dans de nombreuses scènes, notamment celles filmées en plan large, que les mouvements des lèvres ne correspondent pas à ce que disent les personnages, surtout dans la deuxième partie. Le film a été tourné en muet, certaines scènes ont été supprimées pour en tourner d'autres ce qui rend parfois l'ensemble bancal, rarement harmonieux.

Muet, Bledsoe, le personnage d'Harold Lloyd, le reste devant la photo d'une jeune femme qu'il trouve dans un photomaton. Plus étrange, sa propre image est à côté d'elle, comme celle d'un couple marié. Il ignore qui elle est, mais il a déjà croisé cette femme dans ce voyage pour San Francisco. Lui s'y rend en train, un trajet où du retard s'est accumulé et il fait une étape dans un village perdu. Bledsoe est le genre de type à être persuadé de rendre service à chacun, alors qu'il ne fait qu'enquiquiner ceux qu'il croise. Il joue là la face énervante de son personnage.

La jeune femme s'appelle Billie (Barbara Kent). Son voyage à San Francisco, elle le fait en voiture, avec son petit frère handicapé. Elle veut le faire soigner par un médecin chinois, le Dr. Gow (James Wang). Bledsoe voit Billie surtout de dos, elle le précède dans la boutique où ils se croisent tous les deux, il la houspille sans gentillesse avant de replonger dans son monde et de regarder longuement avec des yeux songeurs cette image sortie de nulle part. Bledsoe rate son train justement à cause de cela et s'égare dans la campagne où il était allé cueillir un camélia.

La deuxième fois qu'il croise Billie, il est persuadé qu'elle est un homme. Son automobile est en panne, elle la répare, portant une combinaison de mécanicien, une casquette et son visage est plein de cambouis. Là, l'attitude de Bledsoe est encore pire qu'avant. Il est odieux avec l'homme Billie. Il ne cesse de lui donner des leçons de mécanique, de lui donner des ordres, de le traiter de fainéant, jusqu'à ce que l'homme Billie devienne la femme Billie et que Bledsoe se rende compte qu'elle est la femme sur la photo.

Dans ces premières bobines de Quel phénomène, Harold Lloyd joue sur des éléments comiques qu'il n'avait jamais éprouvé dans ses films précédents. Il jouait sur l'ambivalence des images, un gros plan semblait annoncer une chose, la caméra en plan d'ensemble en disait une autre (le début de Monte là d'ssus, une porte de prison s'avère être un grillage de gare). Mais c'est la première fois que l’ambiguïté sexuelle a lieu et c'est Harold qui est pris dans les rets du langage de Billie qui se joue de lui et de sa pédanterie naturelle.

Le scénario continuera à avoir recours à la duplicité avec le personnage de Thorne (Charles Middleton). Thorne est un édile de San Francisco décidé à lutter contre le trafic d'opium qui sévit à Chinatown. Mais Thorne est précisément le responsable du trafic. Il revêt un masque et porte la tenue traditionnelle chinoise pour dominer le marché. L'ennemi juré de Thorne et de son avatar maléfique n'est autre que le Dr. Gow qu'il va séquestrer. Comme Bledsoe est tombé amoureux de Billie, il va partir à la recherche du médecin.


Dans cette enquête rocambolesque et burlesque, Bledsoe va se faire assister par Clancy (Noah Young), grand gigue à l'incompétence redoutable. J'indiquais que le film était trop long, c'est que les gags burlesques dans la troisième partie de Quel phénomène semblent dater d'un autre âge, celui du muet. Pis que cela, ils sont parfois répétés trois fois (le gag de l’allumette dans la cave du magasin de fleurs, repère des trafiquants). Or quand un gag ne fonctionne pas la première fois, il est rare qu'il marche à la troisième.


















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