Harold
Lloyd parle. J'avais laissé ses films en plan il y a un an et demi
avec le muet En vitesse (1928) et le voici maintenant dans un
long film parlant. Certes la technique est encore balbutiante, on
décèle clairement dans de nombreuses scènes, notamment celles
filmées en plan large, que les mouvements des lèvres ne
correspondent pas à ce que disent les personnages, surtout dans la
deuxième partie. Le film a été tourné en muet, certaines scènes
ont été supprimées pour en tourner d'autres ce qui rend parfois
l'ensemble bancal, rarement harmonieux.
Muet,
Bledsoe, le personnage d'Harold Lloyd, le reste devant la photo d'une
jeune femme qu'il trouve dans un photomaton. Plus étrange, sa propre
image est à côté d'elle, comme celle d'un couple marié. Il ignore
qui elle est, mais il a déjà croisé cette femme dans ce voyage
pour San Francisco. Lui s'y rend en train, un trajet où du retard
s'est accumulé et il fait une étape dans un village perdu. Bledsoe
est le genre de type à être persuadé de rendre service à chacun,
alors qu'il ne fait qu'enquiquiner ceux qu'il croise. Il joue là la
face énervante de son personnage.
La
jeune femme s'appelle Billie (Barbara Kent). Son voyage à San
Francisco, elle le fait en voiture, avec son petit frère handicapé.
Elle veut le faire soigner par un médecin chinois, le Dr. Gow (James
Wang). Bledsoe voit Billie surtout de dos, elle le précède dans la
boutique où ils se croisent tous les deux, il la houspille sans
gentillesse avant de replonger dans son monde et de regarder
longuement avec des yeux songeurs cette image sortie de nulle part.
Bledsoe rate son train justement à cause de cela et s'égare dans la
campagne où il était allé cueillir un camélia.
La
deuxième fois qu'il croise Billie, il est persuadé qu'elle est un
homme. Son automobile est en panne, elle la répare, portant une
combinaison de mécanicien, une casquette et son visage est plein de
cambouis. Là, l'attitude de Bledsoe est encore pire qu'avant. Il est
odieux avec l'homme Billie. Il ne cesse de lui donner des leçons de
mécanique, de lui donner des ordres, de le traiter de fainéant,
jusqu'à ce que l'homme Billie devienne la femme Billie et que
Bledsoe se rende compte qu'elle est la femme sur la photo.
Dans
ces premières bobines de Quel
phénomène, Harold Lloyd joue
sur des éléments comiques qu'il n'avait jamais éprouvé dans ses
films précédents. Il jouait sur l'ambivalence des images, un gros
plan semblait annoncer une chose, la caméra en plan d'ensemble en
disait une autre (le début de Monte là d'ssus, une porte de
prison s'avère être un grillage de gare). Mais c'est la première
fois que l’ambiguïté sexuelle a lieu et c'est Harold qui est pris
dans les rets du langage de Billie qui se joue de lui et de sa
pédanterie naturelle.
Le
scénario continuera à avoir recours à la duplicité avec le
personnage de Thorne (Charles Middleton). Thorne est un édile de San
Francisco décidé à lutter contre le trafic d'opium qui sévit à
Chinatown. Mais Thorne est précisément le responsable du trafic. Il
revêt un masque et porte la tenue traditionnelle chinoise pour
dominer le marché. L'ennemi juré de Thorne et de son avatar
maléfique n'est autre que le Dr. Gow qu'il va séquestrer. Comme
Bledsoe est tombé amoureux de Billie, il va partir à la recherche
du médecin.
Dans
cette enquête rocambolesque et burlesque, Bledsoe va se faire
assister par Clancy (Noah Young), grand gigue à l'incompétence
redoutable. J'indiquais que le film était trop long, c'est que les
gags burlesques dans la troisième partie de Quel phénomène
semblent dater d'un autre âge, celui du muet. Pis que cela, ils sont
parfois répétés trois fois (le gag de l’allumette dans la cave
du magasin de fleurs, repère des trafiquants). Or quand un gag ne
fonctionne pas la première fois, il est rare qu'il marche à la
troisième.
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