Zelig
précède de quelques mois Spinal Tap de Rob Reiner, ce qui
fait du film de Woody Allen l’un des plus anciens mockumentary de
l’histoire du cinéma. Défiant ses habitudes, le générique
d’ouverture ne donne que le titre, escamotant les noms des acteurs,
il cherche avant tout à faire comme si son film était un vrai
documentaire en incluant un carton de quelques lignes, aujourd'hui,
on dirait que c'est tiré d'une histoire vraie. Il enchaîne
immédiatement avec l'intervention, face caméra, assise sur un
fauteuil de la psychanalyste Susan Sontag. D'autres viendront parler
du cas Zelig, notamment, pour ne parler que du plus connu, Bruno
Bettelheim.
Ce
personnage étrange qu'est Zelig, bien entendu incarné par Woody
Allen, a eu ses débuts dans l'histoire de New-York en 1928. Passant
de la couleur pour les interviews de 1983 au noir et blanc, les
anecdotes et les témoignages commencent à se multiplier sur Leonard
Zelig. La première décrit Zelig dans une soirée mondaine où il
discute avec les gens riches et vante le Part Républicain, plus
tard, il parle avec les cuisiniers et défend les Démocrates. C'est
à grand renfort de photographies, de films d'époque et de coupures
de journaux que 1928 est reconstitué, des images où Woody Allen est
habilement incrusté.
Le
récit, narré par une voix off comme dans un documentaire de
télévision (celle de Patrick Horgan), s’emballe avec la notoriété
acquise par Zelig, vite repéré par une flopée de psychiatres qui
ont tous des diagnostics opposés. Eudora Fletcher (Mia Farrow) est
le médecin qui aura la charge de suivre le cas que constitue Zelig.
Woody Allen commence alors à les filmer tous les deux comme dans un
film de 1928 (mais au format cinémascope), avec ces voix
chevrotantes comme à ces débuts du parlant et ces images noir et
blanc pleines de traits, de poussières, de ratures. En 1983, la
vraie Eudora, 55 ans plus âgée (en fait une actrice) se rappelle
cette histoire.
La
vie de notre personnage fait l'objet d'une enquête où le
commentaire fait preuve d'une ironie mordante, mais dite sur le ton
le plus sérieux possible. Le récit de son enfance, par exemple, est
décrite de manière quasi surréaliste, avec des détails
croustillants et des entretiens avec quelques personnes qui ont connu
Zelig ou sa famille qui frôlent constamment le non-sens. C'est que
l'accumulation des malheurs de Leonard Zelig crée immanquablement
une augmentation de l'humour, un humour noir et blanc qui reflète
parfaitement le sentiment de l'époque où Francis Scott Fitzgerald
côtoie, dans les images d'archives, une manifestation du Ku Klux
Klan.
C'est
suffisamment rare pour le signaler, le cinéaste utilise des chansons
spécialement composées pour lui en plus des morceaux de jazz. Ces
morceaux reflètent le vedettariat de Leonard Zelig qui fait les
choux gras de la presse. Immédiatement, Hollywood s'intéresse à
son destin d'homme caméléon (à côté d'un Noir, il devient Noir,
d'un Chinois ses yeux sont bridés, d'un gros il devient obèse, de
deux rabbins une barbe lui pousse sur le visage). Le film s'appelle
The Changing man. Les chansons sont titrés Chamelon Day, Reptile
Eyes. Le business, décrit avec minutie, comprend des jeux de
société, des livres, des disques. Business is business.
Mais
revenons à la psychanalyse, c'est tout de même le sujet favori de
Woody Allen. Le Dr Fletcher cherche à percer le mystère et Zelig
avouera que « c'est sécurisant d'être comme les autres. Je
veux être aimé ». Il plaide son manque total de personnalité
et qu'imiter ceux qui l'entoure est un moyen d'exister. Face à
Eudora, il se prend pour son psychiatre et la considère comme sa
patiente. Comme dans tout film de Woody Allen, par un transfert
typique de la psychanalyse, ils tombent amoureux l'un de l'autre.
Mais surtout, elle inverse le cerveau sans personnalité de Leonard
Zelig qui devient, à l'inverse, un homme avec un avis sur chaque
sujet.
La
célébrité ne dure qu'un temps et le temps de la chute de
popularité va commencer quand sa vie précédente le rappelle à la
réalité. Il serait polygame, un escroc, un chauffard. La justice
s'en mêle et il prend la fuite. C'est grâce aux actualités
d'époque que Eudora le retrouve au côté du Pape ou derrière
Hitler. Pour Woody Allen, c'était l'occasion d'un changement radical
de registre, il avait déjà fait des films en costumes mais en
conservant son ton habituel et c'était une manière de parler
politique à l'aune du spectacle médiatique, d'une période où les
Etats-Unis sont passés de l'insouciance totale au réveil brutal de
la crise sans sa soucier des fascismes. Zelig est le réceptacle de
cette insouciance et de ce réveil.
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