Le
décor de La Villa est une enclave coupée du reste du monde,
la calanque de Méjean, déjà vue dans Ki lo sa, le troisième
film de Robert Guédiguian dont on voit un extrait sur la chanson I
Love You de Bob Dylan. Dans Ki lo sa, en 1985, le cinéaste
avait déjà comme interprètes Ariane Ascaride, Gérard Meylan et
Jean-Pierre Daroussin. 32 ans plus tard, ils sont respectivement
Angèle, Armand et Joseph.
Trois
frères et sœurs qui se retrouvent dans cette enclave après
l'attaque de leur père. Il faut peu de plans pour mettre en scène
cette attaque cardiaque, le père, aux yeux bleus perçants, qui
s'allume une brune, sa main qui tente de s'accrocher à la table sur
laquelle est posée le cendrier. Inutile d'en faire plus, de
dramatiser à outrance avec de la musique, le père est désormais
dans sa chambre, deux perfusions dans les bras.
Les
enfants reviennent au bercail. Sauf, Armand, il habite là depuis
toujours, il n'est jamais parti, il a repris le petit restaurant
familial Le Mange Tout, du nom du poisson, il fait des plats de
pâtes, enfin en été, quand le tourisme marche. La Villa se
déroule en hiver, personne ne vient dans la calanque en hiver. Il
cuisine des plats pas chers et bons, dit-il. Armand s'occupe de son
père, il ne veut pas d'une infirmière.
Joseph
est déjà arrivé avec sa « nouvelle trop jeune fiancée »
Bérangère (Anaïs Demoustier). Joseph est chômeur et franchement
cynique sur les bords, jamais personne n'est à l'abri d'une pique
sarcastique. Il promène son désenchantement comme il marche, avec
nonchalance et nostalgie. Pas la nostalgie familiale, celle politique
avec une question centrale autour de la gentrification de Méjean, de
l'achat des maisons pour en faire des résidences secondaires.
Angèle
n'était pas revenue ici depuis des années. Comme pour l'attaque de
son père, Robert Guédiguian évoque en quelques plans (au ralenti)
la raison de son absence. Elle ne voulait pas venir, mais s'est
résolue à abandonner sa vie d'actrice momentanément (« j'ai
vu tous vos téléfilms » dira Bérangère). Elle a aussi fait
du théâtre, à ses débuts, c'est là que Benjamin (Robinson
Stévenin) l'a vue et en éprouve, des années après, une émotion
intacte.
Le
couple de voisins, Suzanne (Geneviève Mnich) et Martin (Jacques
Boudet) sont les derniers éléments de cette enclave. Ils sont
justement victimes de la gentrification. Locataires depuis toujours,
les nouveaux propriétaires ont augmenté leur loyer pour les forcer
à partir. Leur fils Ivan (Yann Tregouët), jeune médecin, veut les
aider, mais ils refusent obstinément de recevoir son argent. On
comprendra pourquoi plus tard.
C'est
d'abord une douce montée romanesque qui agite ces personnages de La
Villa, trois jeunes et trois vieux. Les repas scandent l'action
et les rencontres créent les souvenirs, puis les souvenirs proposent
l'avenir. Benjamin avoue sa flamme à Angèle qui recommence à
trouver le sourire, Bérangère se lasse de Joseph et entame une
amourette avec Ivan, les trois frères et sœurs se chamaillent sur
l'héritage paternel avant de tenter de se réconcilier.
Cette
enclave n'est pas troublée par l'extérieur qui n’apparaît que
par le TER qui circule sur le viaduc (qui servira magnifiquement dans
la scène finale), la villa est coupée du monde extérieur, si ce
n'est pas le passage d'un homme riche qui veut sans doute acheter une
maison puis par l'armée à la recherche de migrants et enfin par la
découverte impromptue de trois enfants kurdes affamés et pas
habillés pour l'hiver.
Dans
le cinéma où je travaille, La Villa a un grand succès et il
se passe un phénomène étrange à la fin de chaque séance :
les spectateurs ont du mal à quitter leur siège, ils se mettent à
discuter entre eux après le film. C'est que La Villa brasse
beaucoup de sentiments et d'émotions avec une délicatesse à
laquelle je ne m'attendais pas. Moi qui n'aime pas les films de
Robert Guédiguian, j'ai été au bord des larmes à plusieurs
moments.
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