Dix
minutes (entre la 67e et la 77e minute), telle est la durée de la
scène du bal de promo du lycée où Carrie est élève. Le bal de
promo est une tradition du teen-movie, le passage vers l'âge adulte
et ce passage Carrie a failli ne pas le faire. Sa mère Margaret
White, intransigeante bigote refuse de laisser sa fille se faire
inviter par Tommy Ross, le plus beau garçon du lycée. « Pourquoi
m'invites-tu ? », lui demande Carrie, « Parce que tu
as aimé mon poème », répond-il. Tommy et Carrie sont sur la
liste des candidats pour être roi et reine de la soirée. Ils seront
élus car les votes sont truqués. A la manœuvre, Chris a engagé
Norma, le garçon manqué de la bande pour subtiliser les vrais
bulletins de vote et les remplacer.
Il
s'agit pour Chris de faire monter Carrie sur l'estrade. Le vote est
enfin annoncé. Brian De Palma utilise la même mélodie douceâtre
de Pino Dinaggio que celle du la scène de douche où la jeune femme
avait ses règles. C'est la même extase sur le visage, filmé
également au ralenti, le champ sur Carrie heureuse et le
contre-champ sur ceux qui applaudissent, élèves et personnel du
lycée, ravis que Carrie ait pris sa revanche sur la méchanceté de
ses camarades, une sorte de rêverie utopique, qui peut croire dans
cette assistance que le vote puisse être régulier ? Le
principal du lycée et Miss Collins se regardent avec des sourires
béats. La montée sur l'estrade semblent ne jamais en finir et le
spectateur sait ce qui va arriver.
La
veille Chris et Billy, ainsi que deux autres comparses, sont allés
sacrifier un porc pour en extraire le sang. Le visage de Chris quand
Billy tue l'animal est aussi extatique que celui de Carrie, mais dans
une version malsaine, tout comme ce gros plan sur ses lèvres rouges
couleur sang sur lesquelles Chris passe sa langue langoureusement. Un
seau de sang a été installé juste au dessus de l'estrade, relié
par une corde que va tirer Chris installée là-dessous, cachée avec
Billy. La caméra avec un sens abouti du ralenti filme ce long
stratagème que découvre, éberluée Sue, finalement venue au bal en
catimini, vite repérée par Miss Collins qui l'expulse de la salle
et ainsi la sauve.
Ces
dix minutes sont en trois mouvements de durée identique, le deuxième
mouvement est la chute du seau sur Carrie, le sang se répand sur
tout son corps. Pas un son n'est audible de la salle, filmée en
muet, on peut lire sur les lèvres de Tommy et comprendre qu'il dit
« What the hell » avant de recevoir le seau sur le crâne
et de s'effondrer. Les visages sont stupéfaits, personne ne bouge
plus, sauf Norma, casquette vissée sur la tête, qui commence à
s'esclaffer devant ce spectacle, cette douche de sang de cochon qui
colle aux cheveux et à la robe de Carrie.
La
musique change de rythme, s'amplifie en intensité, appuyant sur les
violons pour dramatiser la douche. Les voix reprennent, revenant
comme quatre rengaines sur quatre moments de la vie de Carrie.
« They're all gonna laugh at you », scandé par sa mère,
le « Plug it up » des autres filles, « Trust me
Carrie, you can trust me » de la prof de gym et le « We're
all sorry Cassie » du principal qui se trompe de prénom. Les
quatre voix se superposent créant une variation de comptine cruelle,
dans un kaléidoscope de visages, autant d'ennemis que Carrie
s'imagine s'être fait.
Il
ne reste plus à Carrie qu'à massacrer toute la salle. Les violons
de Pino Donaggio sont remplacés par un clavier strident, l'écran se
divise en deux avec un split-screen, les lumières de secours au
rouge vif s'allument, plus des éclairages bleus. Les sons, cris,
décharge électrique, eau de la lance à incendie, feu, meubles qui
s'écroulent se joignent à la musique, le regard de Carrie est
hiératique, en extase, elle accomplit son œuvre. Ces dix minutes
sont pour moi les plus belles du cinéma de Brian De Palma et Carrie
demeure depuis toujours mon film favori du cinéaste.
Dans
le quart d'heure qui reste, Carrie rentre chez elle pour affronter sa
mère qui l'avait bien prévenu que « tout le monde allait se
moquer d'elle ». Entre les deux femmes, c'est un combat à mort
qui va se mener, à grands coups de couteaux où la mère reprendra
sa place de Jésus comme sur un crucifix. De tous les élèves, seule
Sue, l'ange rédemptrice, a survécu mais dans un ultime et génial
mouvement de grand-guignol horrifique, Brian De Palma décide de la
condamner, elle aussi, à une perpétuelle vie de cauchemar où
Carrie n'en finit pas de hanter ses nuits.
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