Si
ma mémoire ne me fait pas défaut, Alice
est le premier film de Woody Allen que je suis allé voir au cinéma.
En revoyant le film aujourd'hui (et je l'ai vu de nombreuses fois,
c'est mon préféré du cinéaste), je me suis rappelé pourquoi
j'étais allé le voir, non pas à cause de Woody Allen, de Mia
Farrow, mais parce que Cybil Shepherd (la star de Clair
de lune, l'une des séries de
mon adolescence) joue dans le film. J'étais étonné que son rôle
soit si petit, mais le film m'a ravi. Je n'ai depuis raté aucun film
de Woody Allen et vu tous ses précédents.
Alice
c'est évidemment Mia Farrow, sa compagne et actrice de prédilection
(ça ne durera que le temps de deux films, on sait pourquoi), prénom
emprunté opportunément à Alice au pays des merveilles (inutile de
le rappeler), femme quadragénaire des beaux quartiers de New-York,
mariée depuis 16 ans avec Doug (William Hurt), deux enfants et une
tripotée d'employés. Ils apparaissent tous dans le premier plan
séquence, une cuisinière, une nounou, un coach sportif et un
chauffeur. La bonne vie bourgeoise.
Jamais
Woody Allen n'avait créé une femme aussi insipide et qui s'ennuie
autant, quoique dans La Rose
pourpre du Caire, Mia Farrow
s'évadait grâce au cinéma, plus tard Diane Keaton chassera son
ennui en enquêtant sur ses voisins dans Meurtre
mystérieux à Manhattan. Mais
à 40 ans, Alice tourne en rond dans cet immense appartement (un
décor pour une fois, pas un vrai appartement). Elle se confie à sa
meilleure amie Nina (Robin Bartlett), de la même classe sociale sur
ce parent d'élève qu'elle croise à l'école.
Cet
homme s'appelle Joe (Joe Mantegna), brun et costaud, l'inverse du
mari d'Alice. Dans le tout premier plan d'Alice,
il apparaît avec elle dans le zoo de New-York devant l'aquarium des
pingouins. Ils s'embrassent. C'est une scène qui n'existe pas, c'est
un pur fantasme d'Alice. C'est ce fantasme qu'elle raconte à Nina,
elle conte ce qu'elle a envie de vivre et, en Catholique pur jus,
elle considère cette simple pensée comme une adultère :
« j'ai une liaison », dit-elle naïvement.
Alice
se déroule entre Halloween et Noël, un peu moins de deux mois où
sa vie va être bouleversée de fonds en comble. Cette prétendue
liaison a du mal à se concrétiser, Joe lui en a très envie, mais
elle n'arrive pas à passer le cap ne serait-ce du simple baiser.
Woody Allen pour appuyer la lenteur de leur liaison multiplie les
signes d'obstacle entre eux : miroirs, vitre, barreaux, pluie
et, plus généralement, il filme Mia Farrow le visage caché ou de
dos face à son partenaire. Jusqu'à ce qu'ils couchent enfin
ensemble, là la pluie s'est arrêtée.
Woody
Allen s'amuse comme un fou à filmer Alice et ses amis dans les
endroits les plus chics, un salon de coiffure où elles déblatèrent
sur leurs amies, ce salon de thé où les toutous à mémère sont
dans des cages en verre et aussi les magasins de fringue de luxe où
elles dépensent leur argent. Ce luxe, ces vêtements et chaussures
qui encombrent les placards, c'est la pomme de discorde avec Dorothy
(Blythe Danner), la sœur d'Alice (là aussi, Dorothy est un prénom
connoté du côté de chez Oz).
Le
logement du Dr Yang (Keye Luke) qui lui sert aussi de cabinet au
milieu de Chinatown est à l'inverse un invraisemblable bric-à-brac,
un lieu plutôt sombre quand l'appartement d'Alice et Doug est blanc
et lumineux. Dans la journée qui ouvre Alice,
notre héroïne entend trois fois par différentes personnes parler
de ce fameux Dr Yang. C'est suffisant pour l'intriguer et filer le
rencontrer, dans son manteau et chapeau rouge, Alice est prête à
passer dans un autre monde.
Le
merveilleux à l’œuvre dans Alice
prend la forme de l'hypnose, de potions à ingurgiter, d'herbes à
faire brûler ou à fumer. « Tout est naturel », dit le
Dr Yang avec un accent à couper au couteau. Alice n'en finit pas de
parler de ses soucis sentimentaux, de la honte qui l'habite, elle
prend tous ceux qu'elle rencontre pour un psy. Puis la magie opère
et sur la belle musique interprétée par Jackie Gleason et notamment
le morceau Limehouse Blues aux accents orientaux, Woody Allen se
permet absolument toutes les facéties pour aller au pays des
merveilles.
Retrouver
un beau moment du passé avec son mari, devenir invisible et
découvrir ce que disent d'elle ses amies, faire venir le fantôme
d'Eddie (Alec Bladwin) et danser avec lui, discuter avec sa muse
espiègle et au franc-parler (Bernadette Peters) ou revoir ses
parents quand Alice et Dorothy étaient encore des jeunes filles.
Tout est possible d'autant que ce Dr Yang est la métaphore du
cinéaste, l'homme qui met en scène la vie d'Alice, spectatrice
étonnée et enthousiaste devant ce spectacle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire