La
censure a encore frappé. Deux scénaristes viennent de recevoir un
coup de fil et leur script n'a pas reçu l'assentiment de la censure
d'état. Le tournage est donc annulé tout autant que le générique
de La Fête à Henriette où les noms sont remplacés par des
points. Le film est en suspension, il faut écrire une nouvelle
histoire. Immédiatement, les avis entre les deux scénaristes
divergent, et ils ne cesseront de se contredire, l'un (Henri
Crémieux) dans la drame absolu avec quelques morts dans l'histoire,
l'autre (Louis Seigner) qui lui demandera immanquablement « que
fait-on du cadavre » avant de se remettre à la tâche avec une
histoire plus raisonnable et moins sinistre.
Cette
même année 1952, Julien Duvivier tourne Le Petit monde de Don
Camillo, il en est fait discrètement référence dans les
premières scènes quand les deux scénaristes cherchent dans le
journal un fait divers qui ferait une bonne histoire pour un film et
évoquent les disputes entre un curé et un maire communiste. Avec
leur dactilo Nicole (Micheline Francey) et entourés de deux jeunes
femmes de joie, dans une maison à la campagne, ils imaginent qui
pourrait être leur héroïne, l'un veut une belle Suédoise, l'autre
propose une femme simple, elle sera couturière et s'appellera
Henriette. Tout se passera le jour de la Sainte Henriette, c'est à
dire le 14 juillet.
Henriette
(Dany Robin) est une jeune femme qui vit chez ses parents, à
l'Elysée. Le papa est Garde Républicain et la maman est au foyer.
Henriette a un amoureux, Robert (Michel Roux, c'est la première fois
que je le vois dans un film, je suis plus habitué à sa voix
doublant Tony Curtis dans Amicalement vôtre). Il est
photographe dans un magazine. Il fait une belle proposition à
Henriette, faire un reportage de bal en bal, de quartier en quartier,
ils seront tous les deux dans Paris en fête. Elle espère qu'à la
fin de la journée, quand le feu d'artifices, sera lancé, il la
demandera en mariage, l'apothéose de cette fête.
Le
film fait des constants allers-retours entre les chamailleries des
deux scénaristes et le nouveau bout de récit qui se lance. Ce qui
ne sera pas accepté est filmé avec un cadre oblique, décentré,
comme pour rappeler que l'un des auteurs a des idées tordues (une
noirceur digne d'un polar) ou scabreuses (des filles dénudées
faisant dire à Nicole que cela est de la pornographie). Ce qui est
amusant est bien entendu de voir toutes ces séquences où les
personnages sont plongés dans ces méandres scénaristiques et cet
érotisme, ce qui en 1952 aurait dû provoquer les foudres de la
censure de l'Etat.
L'inventivité
des deux scénaristes est débridée avec l'arrivée de Maurice
(Michel Auclair) – il est d'abord prénommé Marcel – un charmeur
qui croise Henriette et va tenter de la séduire pendant que Robert
est parti à l'autre bout de Paris photographier une artiste du
Cirque Medrano, la sculptureuse écuyère Rita Solar (Hildegard
Neff), il est très attiré par cette femme qui saura user de son
charme pour flirter avec lui (dans une scène, elle porte un peignoir
noir transparent). Une fois les amoureux séparés, tout est permis
pour les deux scénaristes.
La
vedette du film étant tout de même Michel Auclair, c'est son
personnage qui a le plus grand nombre de scène. Maurice est un
cambrioleur, ce que Henriette ignorera pendant tout le temps qu'elle
est avec lui. Quand le scénariste dramatique fait bifurquer le récit
vers le film noir (il la fait même mourir « que fait-on du
cadavre ? »), l'autre reprend la main pour amener
l'histoire vers la comédie avec des complices de Maurice, l'un est
joué par Julien Carrette. Cette comédie regorge alors de quiproquos
burlesques et de variations infimes.
Difficile
de ne pas faire le rapprochement entre ces deux scénaristes et le
duo Pierre Bost et Jean Aurenche, les auteurs des films de Claude
Autant-Lara qui se plaisaient dans la noirceur comique (la même
année sort L'Auberge rouge). Julien Duvivier et Henri Jeanson
doivent aussi se souvenir du duo explosif que Duvivier formait avec
Charles Spaak dans les années 1930. Mais ce que l'on peut aussi
remarquer et que jamais les deux scénaristes ne parlent du
réalisateur, eux-mêmes se considèrent comme les auteurs de ce film
en train de se faire. C'était avant la politique des auteurs.
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