De
mains en mains, les lycéens se passent des photos, une fois devant
leurs yeux ébahis, ils se mettent à souffler sur l’image
soulevant des duvets qui laissent apparaître les dessous du modèle.
Dans ce lycée où les élèves de bonne famille portent un uniforme,
costume cravate ou nœud papillon, trois jeunes hommes ont chacun une
de ces photos. Ils en font profiter, non sans morgue, à leurs
camarades, seul le chouchou du prof, le fayot de service, l'élève
Angst (ce qui veut dire peur en allemand), préfère effacer le
tableau noir. Un des cancres commence à dessiner sur le cahier du
professeur Immanuel Rath, une caricature et il ajoute UN devant le
nom de l’enseignant transformant le sens de son nom (Unrat =
saleté)
Ce
matin-là, la routine du professeur Rath (Emil Jannings) se déroule
comme tous les jours. Célibataire, il prend son petit déjeuner dans
sa pension de famille, apportée par la petite bonne. Puis il se rend
au lycée, fier comme Artaban, traverse le couloir, salue ses
collègues, ouvre la porte. Les élèves se lèvent, il leur donne
l'ordre de s’asseoir. Rath se met derrière son bureau, sort son
mouchoir, se mouche bruyamment, le remet dans sa poche. Enfin, il
prend son cahier et découvre le dessin et le mot sur la couverture,
le tout sous le regard angoissé du jeune Angst que le professeur
semble tenir pour responsable de cet affront. Les autres élèves se
lancent des œillades complices ravis de leur bon coup. Pour la
première fois, l’autorité du professeur Rath est ébranlée.
Ce
rituel immuable va être répété trois fois, la première moitié
de L’Ange bleu se déroule sur trois jours. Chaque fois, un
élément perturbateur va affecter cette routine quotidienne de ce
respecté professeur de littérature, au moins par ses pairs. Le
premier jour, tandis qu'il prend son petit déjeuner, il veut donner
un morceau de sucre à son oiseau. Mais l'oiseau est mort. La bonne,
pas plus émue que ça, prend le volatile et le jette dans le
fourneau. C'est le premier signe d'un dérèglement de sa vie, puis
la découverte des photos des lycéens va bouleverser son
train-train. Il s'en saisit par hasard, parce que les « mauvais
garçons » du lycée font trébucher Angst. Rath croit que les
images lui appartiennent et les confisque.
Il
est évidemment outré par les photos de Lola Lola que le spectateur
découvre pour la première fois. Lola Lola (Marlene Dietrich) est
une vedette du cabaret nommé l'Ange Bleu où le professeur va se
rendre pour confondre les garnements. Marlene Dietrich en 1929
n'était pas encore comme elle le sera dans les films suivants de
Josef von Sternberg, notamment dans Vénus blonde, à peine
trois ans plus tard, au sujet relativement similaire. Dans L'Ange
bleu, le corps girond de l'actrice a encore un peu de mal à se
déplacer sur la scène du music-hall, mais le regard est déjà là,
c'est ce que filme le cinéaste, elle est debout sur scène devant
les autres entraîneuses affalées sur les fauteuils, cigarette aux
lèvres.
Lola
Lola chante comme le petit oiseau en cage qu'avait le professeur
Rath. La scène du cabaret est un bazar visuel, un bric-à-brac de
cartons pâtes, de bouts de décors rapiécés dans lesquels le
volumineux enseignant va se perdre, corps et âme. Le deuxième jour,
il revient à la charge pour voir Mademoiselle Lola Lola qui l'avait
si bien reçu la veille, entre deux portes où le brouhaha de la
salle et les chansons faciles et coquines envahissent la bande-son,
comme les bulles de Champagne envahissent le cerveau de Rath qui n'a
jamais rien vu ni vécu de tel. Résultat, il est trop ivre pour
rentrer dans sa petite chambre de pension et le lendemain matin se
retrouve en haut de l'escalier en colimaçon, dans la chambre de
Lola.
La
deuxième moitié de L'Ange bleu se lance sur un effeuillage
de calendrier, passant de 1925 à 1929, du renvoi du lycée au
mariage cocasse où il est le dindon de la farce, se prenant pour le
coq de la basse-cour, puisqu'il se croit plus intelligent, allant
jusqu'à faire un cocorico, l'un des rares moments où Emil Jannings
semble se débarrasser de son jeu très théâtral et emphatique. Ce
cri de volatile sera la marque de fabrique de Rath quand il intègre
la troupe et part dans toute l'Allemagne pour suivre sa bien aimée.
Jusqu'au retour dans la ville où il enseignait, un retour où il
doit faire son numéro de clown et se fait doublement humilier avant
de tomber dans la folie et de tenter, en allant dans sa salle de
classe, de revenir à sa vieille routine quotidienne.
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