Depuis
deux ans, le caïd Pépé le Moko (Jean Gabin), après le fameux
casse de Toulon, s'est réfugié dans la casbah d'Alger. Un quartier
de labyrinthes, de ruelles étroites et sombres, d'escaliers qui se
superposent et se croisent, de population mélangée Français,
Siciliens, Algériens, Espagnols, Slaves, Africains et les femmes, de
toutes tailles, âges et formes que Julien Duvivier présente dans
une séquence quasi documentaire où la casbah est un lieu
pittoresque, aux noms de rues bigarrés, le lieu central de Pépé
le Moko où son héros est prisonnier. Mais c'est une prison où
il fait la loi.
La
loi des colons ne s'applique pas là-haut, au sommet de la colline
d'Alger. La scène d'ouverture est dans le quartier européen, la
police cherche à coincer Pépé le Moko. En vain. Elle a beau
élaborer des plans pour pénétrer dans la casbah et arrêter le
truand, rien n'y fait. Personne ne veut jamais donner le caïd. Seul
l'inspecteur Slimane (Lucas Gridoux), le policier indigène, comme
disent ses pairs, sait que la méthode des flics est vouée à
l'échec. Lui seul sait comment attraper Pépé, le faire descendre
jusqu'à la Place Blanche.
Le
film n'expliquera pas comment dans un quartier aussi pauvre, Pépé
est parvenu à récolter le butin qu'il fait évaluer par l'un de ses
partenaires surnommé Grand-Père (Saturnin Fabre), mais cela permet
de présenter ses comparses. Grand-Père a toujours un bon mot à la
bouche (merveilleux dialogues d'Henri Jeanson). Carlos (Gabriel
Gabrio), le gros costaud est toujours en colère, intéressé
uniquement par l'argent. Il a une réplique récurrente qu'il donne à
Pépé sur un ton très énervé, avec un bel accent de Titi parisien
« de quoi ? ».
Deux
autres acolytes sont plus énigmatiques. Jimmy (Gaston Modot), au
complet veston, a toujours un bilboquet à la main. Il traîne
toujours avec Max (Roger Legris, des décennies plus tard, il sera
l'une des gueules préférées de Jean-Pierre Mocky). Max a
constamment un sourire idiot et, contrairement à Jimmy, il porte un
t-shirt sale sur une vieille blouse. Tous deux sont le jour et la
nuit mais ont un point commun : ils ne diront pas un seul mot de
tout le film, l'inverse de Grand-Père et Carlos qui l'ouvrent à
tout bout de champ. Ils sont un hommage aux comparses de Scarface.
Les
présentations faites, le lieu décrit et l'ambiance posée, il
s'agit de faire démarrer le récit. Julien Duvivier applique de
manière implacable un scénario où se mêlent l'amour pour les
femmes et l'amitié entre les hommes. Pépé a une affection
particulière pour Pierrot (Gilbert-Gil), le jeunot de la bande. Il
veut en montrer à son mentor qui, en retour, le protège contre son
impulsivité. C'est par Pierrot que tout démarre, partagé entre son
amourette avec une Algérienne et l'espoir de revoir sa maman.
C'est
sur ce dernier ressort que le drame arrive dans Pépé le Moko.
L'un des indics de la police, Régis (Charpin), habillé en Algérien
et coiffé d'un fez, annonce aux autorités qu'il a un plan secret
pour faire descendre Pépé en ville. Manipuler Pierrot, lui faire
croire que sa maman est dans le quartier européen. La trahison de
Régis suivie de sa mort est l'un des meilleurs moments de Pépé
le Moko. Transpirant comme un bœuf, acculé dans un coin, il
déclenche un piano automate dont la musique entraînante et
tonitruante masque les coups de feu qu'il reçoit.
Pépé
le Moko est dévasté par la mort de Pierrot. Sa maîtresse, depuis
son arrivée à la casbah, Inès (Line Noro), une gitane au large
sourire ne peut le consoler. C'est surtout qu'il a rencontré Gaby
(Mireille Balin), femme mondaine en visite dans la colonie. Cette
Parisienne fait la touriste dans le quartier au moment même où la
police faisait sa descente, prise dans les coups de feu échangés
entre les officiers et les truands. Elle sera opportunément sauvée
par Slimane qui l'amènera dans un café que fréquentent Pépé et
sa bande.
La
première rencontre est entièrement un jeu de regards entre eux.
Pépé repère d'abord ses bijoux, des bracelets sertis de diamants,
un collier de perle. Julien Duvivier filme en plans larges, en champ
contrechamp, puis approche sa caméra avec des inserts sur les
bijoux, filme enfin en gros plans, de plus en plus rapprochés les
visages puis les yeux de Gaby et Pépé, le tout sous l'observation
attentive de Slimane et d'Inès. Tous deux comprennent immédiatement
ce qui se passe, le coup de foudre qui opère.
Le
destin va alors s'acharner sur le couple. Inès est folle de jalousie
mais Slimane voit l'occasion de tendre un piège à Pépé le Moko.
Les rapports entre les deux hommes sont les plus passionnants du
film. Ils sont un mélange de grande complicité et de défi
réciproque. Pépé est tactile avec Slimane, ils se tournent autour,
ils se complimentent sur leur valeur respective, chacun pensant être
plus malin que l'autre. Seulement voilà, Slimane connaît
parfaitement la faiblesse de Pépé : les femmes. Slimane va
utiliser Inès et Gaby pour accomplir son dessein.
Ce
destin, cette fatalité qui s'abattent sur Pépé le Moko va
provoquer des sentiments contrastés, le faire passer de la joie
absolue quand il chante à tue-tête sur la terrasse, quand il
descend sur la Place Blanche dans une scène en transparence à la
profonde déprime illustrée par Fréhel qui chante sa propre chanson
en écoutant un gramophone, son appel désespéré à Gaby sur le
port d'Alger couvert par la sirène du bateau. Pépé le Moko
est l'un des plus beaux films de Julien Duvivier et par conséquence
de Jean Gabin.
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