samedi 6 février 2016

Steve Jobs (Danny Boyle, 2015)

Ceci est une révolution. Quoi donc ? Mais la construction de ce biopic de Steve Jobs en trois parties se concentrant sur trois événements. Pas tout à fait révolutionnaire. Ce genre de biopic allégé a été tenté dans Frost / Nixon de Ron Howard et un peu dans Saint Laurent de Bertrand Bonello. En vérité, le film de Danny Boyle raconte toute la vie de Steve Jobs, de sa naissance à l'invention de l'iPod. Par un des moyens les plus connus du cinéma : le flash-back. Des scènes « live » du premier ordinateur fabriqué dans le garage par Steve Jobs (Michael Fassbender) et Steve Wozniak (Seth Rogen) à l'embauche de John Sculley (Jeff Daniels) dans un McDo. Des flash-backs dialogués où Jobs raconte son adoption, son rejet par ces parents adoptifs jusqu'à l'idée de l'iPod quand il en a marre de voir sa fille Lisa trimballer son gros walkman.

Qu'on se le dire, Steve Jobs travaille pour le bien de l'humanité, et le film le martèle pendant deux heures, un peu à la manière du réalisme socialiste, ces films de propagande soviétique où le personnage principal œuvrait à l'édification du peuple, toujours en avance sur son temps, à contre-courant des modes et ralenti par les autres. Ces autres, ce sont Wozniak, Sculley, Andy Hertzfeld (Michael Stuhlbarg) et Chrisanne Brennan (Katherine Waterstone), la mère de sa fille Lisa (qui prendra le relais de sa mère dans le troisième acte). Pendant 14 ans, de 1984 à 1998, ils disent tout haut tout ce qu'ils pensent de Steve Jobs, ils instruisent son procès, son avocate de la défense est Joanne (Kate Winslet), qui comme beaucoup d'avocats sait qu'il est coupable de ce dont on l'accuse mais qui le défend tout de même.

Le procès de Steve Jobs tourne autour de sa vie privée et de la gestion désastreuse de sa paternité qu'il refusera longtemps de reconnaître. Cette petite Lisa qui s'appelle comme un ordinateur, le programme LISA. Il refuse d'aider Chrisanne malgré sa pauvreté alors qu'il engrange des profits fabuleux. Il a des rapports difficiles avec Sculley, son patron qu'il juge incompétent, et se montre paternaliste envers Wozniak et Andy (son prénom sera l'occasion du seul gag récurrent du film). Les longues scènes de dialogues (répétées trois fois) se suivent et se ressemblent. A la fois dans les reproches que chacun adresse à Steve Jobs et dans les réponses de ce dernier. Le film valide chaque fois la réponse de Jobs qui aura toujours le dernier mot, qui donne la raison de ces actes. Chaque fois, son personnage est mis au premier plan, lumineux et charismatique, et ses interlocuteurs sont relégués à l'arrière plan engoncés dans leur accoutrements ridicules.

Ceci dit, la mise en scène de Danny Boyle est, pour une fois, regardable, sans avoir envie de s'arracher les yeux (je garde un terrible souvenir de Slumdog millionaire et 127 heures). Steve Jobs aurait gagné à être une série (sur HBO par exemple, chaîne révolutionnaire), chaque épisode aurait pu décliner d'autres inventions. Il faut dire que tout avait pratiquement déjà été raconté dans le film avec Ashton Kutcher. Mais Danny Boyle exploite moins bien le script d'Aaron Sorkin que David Fincher. Ce dernier parvenait dans The Social network à montrer toute la complexité de Zuckerberg en deux scènes sans dialogues. La première quand il traverse le campus enneigé en short, sandales et t-shirt. La deuxième quand il se rend compte que la fille qu'il draguait l'avait défriendé de Facebook, soit l'homme obnubilé par son projet qui se retourne contre lui. Lisa aurait pu acheter un PC, par exemple.

Les trois actes apparaissent assez vite être une simple composition scolaire, thèse (Apple II vs Macintosh), antithèse (Apple vs NeXt), synthèse (iMac). Ce qui manque souvent à Steve Jobs, c'est qu'on ne sort jamais de l'aspect théâtral des dialogues, c'est une incarnation véritable de ses personnages qui parviennent rarement à sortir des rôles qui leur sont assignés. Il reste à évoquer la place du public présent à chaque acte et qui emplit la salle avant chaque présentation du produit. Ce public qui acclame son héros, sa star à son entrée sur scène est le grand absent du film. Il n'est jamais incarné, là aussi, un fidèle utilisateur aurait pu donner son avis, histoire de varier les dialogues et d'ouvrir vers le hors-champ. Ce public est donc un pur fantasme de réalité. Et dans la vraie vie, le public a snobé le film, contre toute attente. Mais, c'est sans doute que le public, comme Wozniak, Sculley, Chrisanne et Andy, a tort.

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