Maintenant,
je vois les liens entre La Dernière corvée et Last flag
flying de Richard Linklater. Deux Marines aguerris en poste à
Norfolk en 1973, pendant la présidence Nixon finissante, doivent
escorter un plus jeune. Jack Nicholson est Buddusky qui fume le
cigare comme le fera Ryan Cranston, Otis Young est Mullhall quand
Laurence Fishburne était Mueller (Mullhall se fait surnommer Mule,
prononcez mioule) enfin Randy Quaid est Larry Meadows portant le même
prénom que Steve Carell.
C'est
un voyage à trois sur cinq jours jusqu'à la prison de Portsmouth
près de Boston. Et qu'a donc pu faire ce pauvre Larry, à peine 19
ans, pour aller en prison. C'est expliqué par le colonel de Buddusky
et Mullhall : il a volé l'argent de la collecte pour la lutte
contre la polio, à peine 40 dollars. Ça lui vaut 8 ans de prison,
un peu beaucoup, mais la responsable de cette collecte est la femme
de l'amiral, le supérieur de Larry. On ne badine pas avec la
hiérarchie dans la Navy.
Larry
est un puceau, un grand timide qui ne cause guère, l'inverse de
Buddusky, toujours le bon mot à la bouche et le sarcasme en
bandoullière. Son nom n'est pas simple à prononcer, on l'appelle
Budass, jeu de mots avec badass, connard en anglais. Pour l'instant,
Larry appelle ses deux matons « sir » et garde la tête
baissée. Il a des menottes aux poignets et c'est ainsi qu'ils
entament ce voyage, ce grand gaillard encadré par un petit blanc à
moustache et un noir, trois marins au chapeau blanc et à la
gabardine noire.
Enlever
les menottes ou ne pas les enlever, telle est la question. Dès le
premier trajet pour Washington, capitale des Etats-Unis, Buddusky
décide qu'il faut lui retirer les menottes notamment pour des
raisons de sécurité dans le car, au cas où un accident
surviendrait. Puis dans le train qui les mène vers Philadelphie, les
menottes seront supprimées, même si Larry succombe à sa
kleptomanie, il pique des objets dont il n'a même pas besoin. Il
avoue d'ailleurs qu'il n'a pas volé l'argent de la polio, il s'est
fait surprendre avant.
Washington,
Philadelphie, Camden, New York, Boston, Portsmouth. Chaque ville est
l'occasion d'une expérience nouvelle et une seule par ville, car
comme le dit Larry à ses compagnons « ainsi je garderai de
chaque expérience un souvenir unique ». Chaque trajet où Hal
Ashby filme les cars ou les trains se déplacer entre les villes est
accompagné, non sans ironie, par une marche militaire, un petite
ritournelle martiale mais joyeuse. Le ton est d'abord celui de la
comédie.
Boire
sa première bière, d'abord tenter d'entrer dans un bar chic où le
serveur raciste se plaint non seulement d'être obligé de servir un
noir mais refuse de vendre à boire à un mineur. Peu importe, Budass
décide d'acheter de la bière et ils iront picoler dans la chambre
d'hôtel jusqu'au bout de la nuit. Ils ratent le train le soir, mais
ça ne fait rien, ils prendront le suivant. Larry en profitera pour
manger un cheeseburger au fromage bien fondu (que le serveur devra
aller réchauffer) ou manger des hot-dogs dans un parc.
Faire
des choses pour la première fois consiste aussi à dépuceler le
kid, comme les deux gardiens l'appellent. A New York, ils espèrent,
après une visite incongrue dans une secte où les adeptes se forcent
à vivre le bonheur, que la dame qui les invite pourra coucher avec
Larry. Mais c'est à Boston, grâce à un chauffeur de taxi
compréhensif, que le gamin ira faire l'amour avec une prostituée
qui fait la moitié de sa taille. Tellement excité, il éjacule
avant même de s'être déshabillé, ses amis lui paieront une
deuxième passe.
Plus
les trois marins remontent vers le nord, plus le temps se détériore.
Après une visite avortée pour que Larry rencontre sa mère, la
neige commence à tomber et le froid se fait ressentir. C'est à ce
moment que Larry commence à réaliser que ces cinq jours de liberté
totale vont finir et que les huit ans de prison à Portsmouth vont
être terribles. C'est dans ce souvenir de la prison que le film de
Richard Linklater prend le relais où le Larry de Steve Carell reste
cet homme timide qui plus de 40 ans après est resté dans ce coin
sinistre pour vivre.
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