En
2005 Stephen Frears filmait Elizabeth II dans The Queen, en
2017, c'est la Reine Victoria, Impératrice des Indes qui est au
centre de Confident royal. Les deux souveraines ont régné
chacune d'elles plus de 63 ans. Si Victoria (Judi Dench) avait eu des
chiens comme son arrière-arrière-petite-fille, il est probable que
le chef du protocole les aurait placé avant les deux Indiens venus
de la colonie simplement nommé « sous-continent » par
tous. Ils se trouvent tout en bas de la liste lors du banquet donné,
ils doivent remettre à la reine un mohur comme symbole du
soumission de leur peuple à l'Empire.
Ce
protocole était déjà dans les premières scènes de The Queen,
quand Tony Blair venait au palais de Buckingham. Dans Confident
royal, Stephen Frears joue au suspense, à quoi ressemble cette
reine de 80 ans passés, comment est grimée Judi Dench, héroïne
chez le cinéaste de Madame Henderson présente et
Philomena ? Ce suspense consiste à ne pas montrer son
visage, ses servantes l'aident à l'habiller, la coiffent, son
secrétaire lui donne son emploi du temps. On voit le visage de tous
sauf celui de Victoria et quand celui-ci apparaît enfin, elle arbore
un visage fermé, ennuyé, presque sans vie.
Cette
tête ennuyée va procurer l'une des séquences les plus drôles du
film, ce banquet où tous les courtisans membres de la noblesse et
autres oisifs du Royaume-Uni sont ravis d'avoir été invités. Quand
la Reine arrive, lentement, prend place à la tête de l'immense
table dans une immense salle. Ce que les convives ignorent est que
Victoria déteste ces banquets, elle mange très rapidement, avale la
dizaine de plats à toute vitesse et, une fois qu'elle a fini chacune
de ses assiette, les laquais enlèvent les assiettes de tous les
invités, qu'ils aient fini ou non leur plat. Elle ne dira pas un mot
jusqu'à la fin « c'est enfin fini ».
Elle
se lève et commence à vouloir partir. Quand son secrétaire lui
rappelle la venue de ces deux Indiens. Le premier est Abdul Karim
(Ali Fazal) et le second Mohamed (Adeel Akhtar). Ils travaillaient
jusqu'alors dans une prison britannique en Inde où les incarcérés
fabriquent des tapis. Ils mettent deux mois, en bateau, à venir à
Londres. Quand ils débarquent du navire, le capitaine leur dit
« bienvenue dans la civilisation » alors que Abdul doit
enjamber un mendiant couché dans la boue, le temps est gris, les
murs sont noirs, il fait froid.
Pour
faire exotique, un couturier leur fait porter de beaux habits rouge
vif et un turban qu'ils doivent porter en ceinture. Abdul a beau dire
que cela ne fait pas Indien, le couturier leur réplique que c'est
plus « authentique ». Les Anglais appellent les deux
Indiens des Hindous alors qu'ils sont Musulmans. Alors que son
compagnon ne voit chez eux que de l'abjection notamment dans leur
alimentation « ils mangent du sang de porc », pour Abdul,
c'est cette société anglaise qui est totalement exotique, il la
fascine.
Réciproquement,
Victoria va se rapprocher de ce serviteur qui ose la regarder droit
dans les yeux (là encore le chef du protocole lui avait formellement
interdit). Depuis la mort de son époux 30 ans plus tôt, personne
n'avait regardé la souveraine. Ils devaient rentrer en Inde, elle
les fait rester en Angleterre et Abdul devient son serviteur
personnel. Elle l'invite à Balmoral sa résidence écossaise (là où
avait lieu les meilleurs scènes de The Queen), puis dans la
demeure de Glass-allt-Shiel ce qui n'est pas sans causer quelques
troubles dans la cour.
Victoria
ne s'est jamais rendu en Inde et quand l'Inde vient à elle, elle
veut tout apprendre. Abdul devient son munshi, son mentor qui
lui apprend le ourdou, la civilisation indienne, lui raconte
l'histoire du Taj Mahal, le vol des joyaux par les Britanniques. Elle
veut une mangue, elle s'en fera livrer (deux mois de bateau comme
pour Abdul) et arrivera pourrie. Toute cette première partie de
Confident royal est délicieuse, confinant parfois à la
préciosité, une romance platonique à la Harold et Maude
entre une vieille dame et un beau jeune homme poète.
La
deuxième moitié verse dans la description des crispations
provoquées par la présence d'Abdul. Le médecin de la reine, le
premier ministre, les dames de la cour et le prince héritier Albert
(Eddie Izzard) surnommé Bertie – le futur Edouard VII, n'en
peuvent plus de la présence de cet étranger. Il faut dire que la
reine prend un souverain plaisir à les humilier, elle invite même
son petit-fils le Kaiser Guillaume à lui serrer la main. Quand
Bertie tente de la faire passer pour folle, elle lui réplique
qu'elle a bien des défauts, qu'elle nomme tous, mais qu'elle n'est
pas folle.
Stephen
Frears avait décrit dans My beautiful laundrette l'un des ses
plus beaux films, un Pakistanais musulman qui tombe amoureux d'un
Anglais skinhead. Il avait résolu cette histoire avec un happy end
qui ouvrait vers un semblant d'espoir de voir le racisme détruit.
Dans Confident royal, l'amitié entre Victoria et Abdul est
écrasée par Bertie, particulièrement antipathique, qui détruit
toutes les preuves de cette histoire, c'était donc le cinéma seul
qui pouvait en écrire la légende rose, souriante et souvent avec
une candeur qui frôle la mièvrerie.
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