mercredi 26 décembre 2018

Un violent désir de bonheur (Clément Schneider, 2018) + L'Homme fidèle (Louis Garrel, 2018)


Par ces temps de fête de fin d'année, l'idéal est d'aller voir des films très courts, par exemple ces deux-là, 75 minutes chacun, à eux deux ils font quasi la durée d'Aquaman, la dernière livraison Marvel pour toute la famille popcorn. A ma gauche, Louis Garrel, troisième film à sortir en salle, titre simple L'Homme fidèle, tourné à Paris dans un univers qu'on connaît bien. A ma gauche, Un violent désir de bonheur tourné dans l'arrière pays provençal dans un mont d'oliviers pour inventer 1792 et un monastère envahi par des révolutionnaires.

Un violent désir de bonheur est le premier long-métrage de Clément Schneider, c'est un plaisir de retrouver le beau Quentin Dolmaire. Je disais au sujet de Sage femme qu'on ne voyait pas assez l'acteur découvert dans le génial Trois souvenirs de ma jeunesse. Les cheveux sont toujours aussi bouclés mais une tonsure détermine sa vie, il est moine et s'appelle Gabriel. Dans sa chasuble, il s'adresse aux soldats qui veulent les expulser du couvent occupé par six moines, il est le seul à causer, il est pourtant le plus jeune et son discours est entendu.

Pour créer cette époque si vue dans tant de films, avec cette éternelle crainte de faire du cinéma académique, Clément Schneider, en fait le moins possible et ça marche. Langue actuelle, pas de phrases qui vont époque mais parfois quelques personnages qui parlent en patois local. Décor et costumes minimaux, les soldats plus nombreux que les moines arrivent dépenaillés, chemise ouvertes sur le poitrail, une découverte pour Gabriel qui semble n'avoir jamais vu de peau de sa vie. C'est l'été, les hommes suent et se déshabillent devant lui.

La révolution qui subit Gabriel est ce désir qui grimpe de ses doigts de pied, que touche Marianne (Grace Seri) débarquée avec la troupe, jusqu'au haut de son corps. Gabriel est filmé ainsi sur une échelle, torse nu, en train de ramasser les olives et la jeune femme, qui ne dira jamais un mot, est là à le toucher, le tester, l'attendrir, sans que l'on sache vraiment si elle comprend qu'un moine a voué sa vie à la chasteté. Elle reste avec lui quand les soldats s'en vont, confiant à Gabriel le monastère, il devient alors le sergent François.

Il passe d'un prénom biblique à un prénom français, de moine à soldat, et les saisons passent au gré de la nature qu'il embrasse, il fait la sieste dans l'herbe, dort sur les troncs et fait l'amour dans les prés. Le désir est violent mais filmé avec une telle douceur, telle cette belle scène où Marianne refait la coupe de cheveux du jeune moine. Filmé comme un film straubien, en format 1:33, c'est une belle surprise, vive et reposante, ensoleillée et heureuses. Ce qui lie ainsi les deux films est aussi le choix de ce prénom Marianne pour le personnage principal féminin.

Chez Louis Garrel, Laetitia Casta est cette Marianne brune filmée en scope. Elle est entourée de protagonistes aux prénoms bibliques. Abel (Louis Garrel) qu'elle a quitté pour épouser Paul (on ne le verra jamais mais tout le monde parle de lui) et mettre au monde Joseph (Joseph Engel). Marianne perd son amri et retrouve Abel à l'enterrement, entre temps Joseph a bien grandi. Elle va encourager Abel qui s'est installé chez elle à coucher avec Eve (Lily-Rose Depp), la petite sœur de Paul qui a toujours été amoureuse d'Abel.

En 75 minutes, Louis Garrel et son co-scénariste le très estimé Jean-Claude Carrière embrassent dix ans de vie, ou plus précisément, dix ans de frustration et dérobades sexuelles entre Abel, Marianne et Eve, dans une mise en scène polyphonique : les voix off des différents personnages se succèdent dans la bande son, chacun prenant en compte la narration sans que l'on sache vraiment s'il n'invente pas au fil de leur inspiration ce qui leur arrive (la confusion de son âge quand Eve raconte sa passion amoureuse dès son adolescence).

Comme dans le film de Clément Schneider, beaucoup de douceur irrigue le parcours chaotique de ce quatuor éclaté. Le chaos est approté, tambour battant, par Joseph qui fait figure de personnage totalement mystérieux. Il tient un discours étrange à Abel : Marianne a tué Paul et le médecin est complice. Tiens, comment s'appelle ce médecin ? Il a un nom de fleur en P. Mais quelle fleur ? Les pensées (ce qui est indiqué sur la couronne mortuaire) ou les pivoines ? Abel ira voir ce médecin, il enquête sur les mauvais conseils de ce gamin qu'il soupçonne maintenant d'être son fils sans comprendre pourquoi Marianne lui aurait privé de sa paternité.

Cette mort dérègle la vie de chacun, renverse leur train-train. Cela part ainsi d'un événement violent mais raconté avec une joie immodérée dans une vision de l'amour proche des Liaisons dangereuses. C'est une évidence, le saut quantitatif de la mise en scène de Louis Garrel est flagrant, c'est une bonne nouvelle. Il se révèle aussi un excellent dans la direction d'acteur. Autre lien entre les deux films. Louis Garrel et Quentin Dolmaire incarnent deux frères dans deux films différents d' Arnaud Desplechin. Ça serait épatant de les retrouver ensemble dans une suite des aventures des frangins Dédalus.


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