vendredi 21 décembre 2018

Mon père (Alvaro Delgado-Aparicio, 2017)


S'approcher du folklore pour mieux s'en éloigner, Mon père premier film d'un jeune cinéaste péruvien fonctionne ainsi. De grands et larges paysages de montagne, le pays Quechua (pas la marque de vêtements de montagne amis grenoblois) et sa langue, la première fois qu'elle est parlée dans un film. L'espagnol ne sera entendu que dans une courte scène quand Noé (Amiel Cayo) le père et son fils Segundo (Junior Bejar) quittent leur atelier pour vendre leurs figurines dans un magasins attrape-touristes. On les voit ces touristes dans la ville.

La première scène est dans le noir complet, on entend le fils, à peu près 15 ans, décrire par le menu à son père ceux qu'il a devant lui. C'est de mémoire qu'il conserve les détails des familles qu'ils vont sculpter en figurines – faite en pâte de pomme de terre – pour les inclure dans un retable. Les portants du retable sont illustrées de fleurs colorées, c'est très beau, c'est ce folklore quechua qui est dépeint mais le cinéaste évite l'écueil du film ultra documenté, cette mode actuelle pas déplaisante en soi, mais qui parfois encombre la fiction.

« Tu ne seras pas paysan, tu seras artisan » dit Anatolia (Magaly Solier) à son fils Segundo. Le père transmet à son fils son savoir, tout le monde appelle Noé « maestro » partout où il se rend, il est invité à des banquets. C'est, d'une certaine manière, la belle vie pour Segundo, très éloignée de celle des éleveurs voisins. Dans la ferme à côté de chez eux vit le jeune Mardonio (Mauro Chuchon) qui passe l'été à donner à manger aux cochons, il mime sur eux le coït, il rêve d'aller baiser la belle Felicita (Claudia Solis), la jeune commerçante qui donne des planches à Noé pour ses retables.

Mardonio a toujours la parole sexuelle à la bouche, c'est ce sujet là que le film aborde pour d'éloigner du folklore. Car Noé est surpris par son fils en pleine branlette et Segundo en est perturbé, comme un enfant dans un film de Yasujiro Ozu, il fait la grève de la parole, il semble ne plus comprendre son père. Mardonio dans sa logorrhée verbale joint souvent le geste à la parole, un geste brutal qui agit presque comme un viol aux yeux de Segundo. Le film joue sur la découverte du corps masculin qui demeure une énigme pour le jeune homme.

S'éloigner de son père consiste ainsi à détruire le lien qui l'unit à lui. Ne pas devenir artisan mais devenir paysan, Segundo se laisse convaincre par Mardonio d'aller dans la vallée cueillir du coton. Il est d'autant plus d'accord quand toute la communauté à rejeté son père, mais l'ado se fait rejeter, violemment à son tour, la même violence avec laquelle mimait l'acte sexuel se déploie dans les coups de poing que donne Mardonio à Segundo lorsque le gamin, un retable sur le dos, traverse le terrain de foot.

La beauté de la tradition laisse place dans la deuxième moitié du film aux préjugés les plus ancestraux. Ce sont les deux faces d'une même médaille qui décrit le cinéaste péruvien, la finesse du trait, le vernis plaisant (la part touristique, mais aussi dans une métaphore filée le film de festival) cache un monde gris que le directeur de la photographie capte avec rudesse, un monde inconnu, presque un film d'horreur qui, malgré quelques défauts de rythme et d'interprétation, donne un ton singulier au film.

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