mardi 11 décembre 2018

The Intruder (Roger Corman, 1961)


L'intrus s'appelle Adam Cramer (William Shatney), un prénom biblique, le premier homme sur terre et un visage si doux, un homme si souriant, des vêtements si seyants. Adam Cramer débarque dans la petite ville de Caxton dans le sud des Etats-Unis de 1961 à la rentrée scolaire. Adam débarque d'un bus, lunettes de soleil sur le nez, un gros plan sur son visage quand il les enlève et découvre cette ville qu'il va tenter de modeler à sa guise. Dès le départ, sans même que l'on sache le sujet profond de The Intruder, Roger Corman avec quelques plans ciselés détermine que Cramer n'est pas l'ange tombé du ciel qu'il prétend être.

William Shatner n'avait pas encore joué dans la série Star Trek le rôle du Capitaine Kirk, acteur de série B, il se plonge avec délectation dans ce rôle d'un homme avenant qui va serrer toutes les mains possibles, comme un candidat à une élection et à commencer par une petite fille médusée par ce démon vivant. Cette gamine semble la seule, dès le départ, à reconnaître et apercevoir l'âme noire de ce porteur de zizanie. Il se présente comme un représentant de la « Patrick Henry Society », manière pour Roger Corman de ne pas mentionnner le Ku Klux Klan ou n'importe quelle structure raciste qui sévissait dans cette région.

Le sud ségrégationniste en ce début des années 1960 était Démocrate (c'était avant que Kennedy vienne changer la donne), mais Roger Corman ne fait pas de politique en désignant quel parti dirige la ville de Caxton. Il montre qu'en cette rentrée scolaire, un événement va se produire, pour la première fois : des Noirs vont aller au même lycée que des Blancs. Les dialogues de 1961 sont crus, en tout cas pour aujourd'hui en 2018 puisque le film vient tout juste de sortir au cinéma, où le « N Word » (nigger et negro) comme on dit ne cesse d'être prononcé par les blancs, des purs ploucs sudistes, des racistes suant et grimaçants.

Ils sont partout ces blancs fiers d'eux et que Roger Corman filme comme des rats (ces panoramiques en gros plans sont une critique imparable) et qui deviennent les marionnettes d'Adam Cramer, en tout cas il l'espère. La foule compacte et majoritaire, voilà le feu sur lequel il va jeter de l'huile pour entretenir la haine. Cramer demande partout s'il trouve normal que des noirs aillent à la même école que des blancs. Dans le modeste hôtel où il loge, tout le monde acquiesce aux quelques phrases qu'il lance à la cantonade pour harponner ses proies et ça mord, il devient la coqueluche de la ville, tout le monde l'écoute tel un tribun.

Toute la contrée est occupée, non, quelques irréductibles résistent. Le rédacteur en chef du journal local, Tom McDaniel (Frank Maxwell) qui entend après le discours de Cramer faire un papier au vitriole. Mais le propriétaire du canard, sudiste caricaturé à outrance – donc totalement réaliste – le bedonnant Verne Shipman (Robert Emhardt) exige, au nom de la liberté d'expression, que l'opinion de Cramer soit distillée dans le journal, opinion que Shipman soutient non sans brutalité comme dans la dernière scène presque insoutenable où il oblige Joey Greene (Charles Barnes) à lui donner du « sir », ce qui en anglais correspond à la fois à du Monsieur et à du Maître.

Autre résistant, ce jeune lycéen qu'est Joey Greene. Il vit dans le ghetto, un quartier éloigné du centre ville blanc et prospère comme on voit dans tous les films américains de cette même époque, la belle vie à la portée de tous. C'est admirable cette manière dont Roger Corman montre la différence entre la ville blanche et le ghetto (nommé « negro town » dans les dialogues) puisque les routes goudronnées cèdent la place à des chemins de cailloux, les belles maisons deviennent des taudis de tôles et de planches. Voilà un décor jamais vu à Hollywood, sauf dans quelques films (je pense à Cabin in the sky de Vincente Minnelli mais très édulcoré).

La marche de Joey Greene et de ses camarades pour aller au lycée prend des aspects documentaires, c'est une reproduction fidèle de celle que l'on peut voir dans les actualités d'époque. En silence, ils traversent la ville, observés par les blancs avec haine et mépris, ils sont ensuite houspillés avec condescendance et injustice (la manifestation de pancartes). C'est sur cette haine qu'Adam Cramer prospère. Je crois que le discours qu'il tient est l'un des plus violents vus au cinéma, il crache sa haine des Noirs et des Juifs avec une jouissance malsaine. C'est extraordinaire de voir William Shatney, que j'ai toujours tenu pour une endive, être si convaincant dans ce personnage abject, je n'ai jamais vu aucun autre de ses films, mais c'est le rôle de sa vie.

Son personnage séduit aussi les femmes, la fille adolescente du journaliste mais surtout sa voisine, Vi Griffin (Jeanne Cooper), une femme étrange et inquiète mariée à Sam (Leo Gordon) un représentant de commerce bruyant et vulgaire. Son mode de séduction envers Vi est disséqué de manière clinique et prolonge l'aspect malsain du personnage, son côté manipulateur, c'est aussi terrifiant que son racisme. Il faudra que cet époux que l'on prenait pour un gros plouc vienne remettre de l'ordre dans cette ville, sans doute le mouvement scénaristique le plus surprenant d'un film en tout point étonnant. C'est ce qu'on appelle une vraie découverte, une pépite de cinéma longtemps cachée.

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