samedi 29 décembre 2018

Les Chansons d'amour (Christophe Honoré, 2007)

Trois sœurs reliées par la même initiale, Jeanne (Chiara Mastroianni) l'aînée, Julie (Ludivine Sagnier) la cadette et Jasmine (Alice Butaud) la petite dernière. Très unies, elles passent les déjeuners dominicaux chez papa maman (Jean-Marie Wingling et Brigitte Roüan). Mais seule l'une d'elles a un fiancée, c'est Julie qui vit en couple avec Ismaël (Louis Garrel). Jeanne reste désespérément seule et Jasmine est encore étudiante.

Pour l'instant, quand commence Les Chansons d'amour, Julie va aller au cinéma et attend Ismaël qui n'arrive pas. Petit coup de fil, grand retard. Mais commencer son film par un film est le signe d'un détour cinéphile et celui-ci passe avant tout par le cinéma de Godard et Une femme est une femme. C'est dans ce quartier de Strasbourg-Saint-Denis que Julie et Ismaël habitent et c'est plutôt une femme et une femme dans le lit conjugal.

Au couple s'adjoint une autre femme Alice (Clathilde Hesme), aussi brune que Julie est blonde. A trois, ils jouent aux livres dans le lit comme Brialy Belmondo et Anna Karina, se lançant des petits messages, mais attention, uniquement des bouquins édités par L'Olivier, l'éditeur des romans de Christophe Honoré. A vrai dire, Alice semble un peu s'incruster dans le couple, Julie ne sait plus très bien qui l'a invitée en premier.

Tous ces sentiments, les personnages les expriment en chansons, des chansons d'amour qui racontent ce que les dialogues n'oseraient jamais dire de vive voix, des voix intérieures qui se font entendre du spectateur. La quinzaine de chansons d'Alex Beaupain sont pop, souvent guillerettes, parfois mélancoliques, toujours courtes, elle reflètent comme des miroirs la vie amoureuse de ce trio qui ne va jamais finir de se scinder.

C'est toujours sur le fil du rasoir que se joue l'équilibre du cinéma de Christophe Honoré, l'option « film musical » (on ne peut pas parler de comédie ici) fonctionne parce qu'il transcende la vie banale que tous vivent. Les chansons sont terriblement sentimentales, parfois cucul la praline, parfois chantées un peu justes, mais elles frappent par leur inventivité.

Car assez tôt dans le récit, Julie meurt d'une crise cardiaque. Le cœur, toujours le cœur, si fragile qu'il ne supporte plus de partager Ismaël avec Alice. Assommé par la mort de sa chérie, il erre dans les rues tristes de Paris. Là est la touche du cinéma de Christophe Honoré, savoir trouver le quartier idéal, la rue adéquate, l'immeuble parfait pour rendre l'humeur d'Ismaël et des autres, leur solitude, leur égarement affectif.

Alice est déjà passée à autre choses, un Breton au nom si breton, Gwendal (Yannick Renier) rencontré à la soirée où justement Julie est morte. Ismaël va ainsi naviguer entre son appartement vide et ce lui d'Alice. Dans son appartement vide, Jeanne vient parfois s'incruster, sans vraiment savoir pourquoi, elle prétend venir nourrir le chat, elle vient vérifier si Ismaël appartient à leur famille, s'il n'a pas changer de fiancée.

C'est la légèreté de la gravité qui orne les scènes des Chansons d'amour. La légèreté de découvrir au petit matin une jeune femme dans les draps du lit d'Ismaël, la gravité pour la mère d'enfin rencontrer cette Alice, l'indifférence de Jasmine quand Alice discute avec elle. Décidément, la famille part en déliquescence, elle se désagrège lentement mais sûrement et personne ne peut ralentir ce mouvement qui pousse Ismaël ailleurs.

Cet ailleurs, c'est la Bretagne. Ultime hommage au cinéma de Godard, ces enseignes lumineuses qui indiquent le chemin à prendre. Ismaël est égaré dans le quartier où il vit. Alice lui a proposé pour se changer les idées de venir de temps en temps dormir chez Gwendal, puisqu'elle sort avec lui. Et Gwendal a un petit frère, Erwann (Grégoire Leprince-Ringuet), ce Breton qui sent « la pluie, l'océan et les crêpes au citron ».

Ce lycéen un peu collant, qui porte des slips colorés, une blouson plastique et des pulls marins, n'aurait jamais dû rencontrer Ismaël. Il est le cliché vivant du jeune gars qui croit que le monde entier lui appartient et qu'il va réussir à ce que Ismaël, l'homme aux chemises blanches et aux vestes noires, tombe amoureux de lui. Comme gage d'amour, Erwan lui prête son pull.


A vrai dire, le spectateur n'a envie que d'une chose dès que Erwan arrive, c'est qu'Ismaël succombe à son charme. Toute la deuxième moitié des Chansons d'amour est ainsi de la broderie, une manière de retarder l'inévitable comme dans une comédie du mariage à Hollywood. Le plaisir du film est dans ces rendez-vous manqués, ces jeux de cache cache pour arriver à ce beau finale « Aime moi moins mais aime moi longtemps ».




























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