dimanche 11 novembre 2018

L'Esprit de Caïn (Brian De Palma, 1992)

« J'ai le regret de t'annoncer que tu es mariée à un époux parfait ». La phrase sort de la bouche de Sarah (Mel Harris) à sa meilleure amie Jenny (Lolita Davidovich). Elles sont dans le parc et Jenny parle de son époux Carter Nix (John Lithgow) qui s'occupe de leur fille Amy depuis que Jenny a repris le travail. Il veille constamment, totalement, jalousement sur elle, il est allé jusqu'à installer une caméra de surveillance dans sa chambre, il peut ainsi l'observer en permanence depuis le lit conjugal. Parfait, pas vraiment selon Jenny qui pense qu'il couve beaucoup trop leur fille.

Elle a effectivement raison de s'inquiéter. Cette conversation déboule au bout de 20 minutes de L'Esprit de Caïn. Brian De Palma a eu le temps de nous montrer l'esprit dérangé de Carter. Son nom de famille en dit long, Nix : à la fois une consonance à la Nietzsche (ce qui ne nous tue pas nous rendra plus fort) et la prononciation de l'allemand nichts, le néant. Carter va enlever le fils d'une connaissance, il met du chloroforme sur un mouchoir et étourdit la mère dans sa voiture. Le geste de Carter est un peu gauche, il a peur de se faire confondre par deux joggeurs.

Il suffit de l'intervention de son frère Caïn (John Lithgow également), qui débarque de nulle part pour sauver la mise. Brian De Palma ne filmera jamais Caïn et Carter dans le même plan et joue à peine sur l'idée que Caïn ne soit autre chose que l'imaginaire délirant de Carter. John Lithgow lui joue ses deux personnages en opposition totale, Carter en grand timide et Caïn en prédateur sexuel, Jenny sera l'une de ses victimes, elle en parle à Sarah de ce changement soudain d'attitude, un moment doux, un moment brutal.

Les psychiatres en bonne santé seraient d'un ennui mortel, alors Brian De Palma les conçoit complètement barré. C'est le cas du père de Carter, le maléfique Dr. Nix (John Lithgow pour son troisième rôle). Carter enlève des mômes pour ce père qui expérimente de morcellement de personnalités. Il a fait une thèse à ce sujet. La police et le lieutenant Terri (Gregg Henry) en tête ont peine à croire à la schizophrénie de Nix. Comme dans Pulsions, Blow out et Body double, les flics ont du mal à démarrer leur enquête et Brian De Palma pousse jusqu'à la parodie leur incompétence.

C'est vers les morts vivants que le récit se tend. Vers ce père norvégien censé être décédé et qui revient avec des cadavres qui traînent quand son projet prend forme. Plus que Caïn, Josh et Margo, c'est ce personnage de père sur lesquel joue l’ambiguïté de l'existence même. Autant on devine vite grâce à la mise en scène basique que Caïn n'existe pas, autant ce père pourrait être une invention mentale de Carter. Le Dr. Nix est filmé en grand angle, souvent en regard caméra comme si le point de vue de Carter le filmait en caméra subjective.

Vers une scène onirique remarquable, variation des habituelles déambulations de Brian De Palma. Jenny a échangé les cadeaux qu'elle voulait faire à Carter et à Jack Dante (Steve Bauer) – on remarquera le nom de son nom de famille symbolique. Jack est un ancien amoureux, un homme à la virilité exacerbée, l'inverse de Carter. Dans une boucle qui semble échappée de Luis Buñuel, Jenny rêve qu'elle rêve, elle s'imagine mourir, embrochée par la lance d'une statue, après avoir fait l'amour deux fois en rêve avec Jack. Le récit revient parfois sur ses pas dans des flash-backs subjectifs.


Vient enfin l'hommage le plus spirituel à Psychose, cette mort de Jenny dans sa voiture que Caïn plonge dans un marais, tel Norman Bates le faisait avec Marion Crane. Seulement voilà, cette fois Jenny est vivante quand elle est dans la voiture, elle frappe de toutes ses forces sur le pare-brise arrière, l'un des plans les plus forts et les plus terrifiants de L'Esprit de Caïn. Jenny donnée pour morte revient dans le récit et à la vie encore une fois, dans un mouvement ironique souverain aussi éloigné que possible de tout réalisme comme Brian De Palma sait si bien le faire.


























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