dimanche 25 novembre 2018

Le Port de la drogue (Samuel Fuller, 1953)

La pétillante et bavarde Madame Moe (Thelma Ritters) vend des cravates à prix coûtant, seulement 1$ pièce. Elle vend aussi des renseignements à la police, elle n'est pas une moucharde, loin de là, elle ne laissera personne dire le contraire, elle a sa dignité. Contre 50$ négociables, Moe accepte de donner le nom de 8 pickpockets. Auparavant, elle demande de décrire le pickpocket, non pas son aspect physique, grand ou mince, blond ou brun, mais sa méthode pour voler le porte-feuille, comment il tient son journal, comment il le plie.

Juste auparavant, dans une séquence sonore mais sans dialogue, dans un métro aérien de New-York, Samuel Fuller dirigeait les regards de ses spectateurs sur ce vol de porte-feuille. Une femme sexy en diable, Candy (Jean Peters), deux observateurs dont on connaîtra bientôt la fonction, ils sont des agents secrets, parmi eux Zara (Willis Bouchey). Ils suivent Candy mais sont dérangés par Skip McCoy (Richard Widmark) en train de faire son œuvre. Les plans sur les visages des personnages se succèdent, alternant avec le métro bondé où les corps s'entrechoquent et les inserts sur le sac à main et la main de Skip.

Le sérieux de cette première séquence où tout est montré, scruté, dans un dispositif de pur suspense fait contraste avec avec le comique de situation de Moe chez les flics qui la suit immédiatement. La petite bonne-femme a de l'aplomb, elle a de la répartie. Le Port de la drogue suit ce mouvement de balancier pour trouver son rythme, d'un côté l'humour léger et de l'autre le polar qui se mâtine de politique. Car ce porte-feuille contient un microfilm contenant des secrets militaires (une formule de chimie) et Candy ne peut pas le remettre à celui qui l'attendait.

Derrière ce sérieux McGuffin qu'est le microfilm, une histoire d'amour contrariée se dessine. Candy ignore que Joey (Richard Kiley) est un communiste, cet homme qu'elle aime et à qui elle doit remettre ce document œuvre pour l'ennemi (sauf dans la version française, d'où ce titre improbable). Samuel Fuller le filme suant, aux aguets, terré dans son appartement et plus tard dans un monte-charge il est un homme qui n'inspire jamais confiance. Pire, il manipule Candy, lui ment, il l'entraîne à son insu dans une opération. Pendant tout le film, Joey est désigné comme un homme mesquin.

Candy n'a pas remarqué Skip McCoy dans la rame de métro. Elle veut le retrouver par l'entremise de Moe qui demande encore une fois 50$ à la jeune femme. Skip est un voleur, certes, mais Samuel Fuller ne le condamne pas, il lui offre un certain charme (il va séduire Candy et elle se laisse séduire), de l'humour corrosif (son arrestation où il déploie une ironie mordante aux détriments des flics) et de l'ingéniosité (son frigo est une caisse de bières qu'il plonge dans l'eau). Skip vit dans une petite cabane de pêche au bord du fleuve, éloigné du monde et Candy va le faire revenir au monde


Malin comme un singe et toujours prêt à mettre des bâtons dans les roues de la censure, Samuel Fuller ne fait pas de Skip McCoy un patriote, bien au contraire, seul l'argent l'intéresse (et Candy aussi) et il ne va pas hésiter à demander une forte somme pour remettre le microfilm. Il y a toujours dans le regard sévère de Richard Widmark une inquiétude qui contamine les autres personnages, les fait perdre pied, leur subtilise la réalité. C'est cette ambiance qui refuse le manichéisme tout comme les archétypes tranchés que j'aime dans le cinéma de Samuel Fuller.




























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