mardi 27 novembre 2018

Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma (Jean-Luc Godard, 1986)

Il faut essayer d'imaginer la tête des spectateurs de TF1 au milieu de l'année 1986 quand Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma est passé dans la case Série Noire que la chaîne, alors publique pas encore dans le « mieux disant culturel » cher à Bouygues et Mougeotte, programmait alors le samedi soir face à Michel Drucker. Ce téléfilm est loin des canons télévisuels et proche des essais que Jean-Luc Godard commençait à tourner à l'époque (il entamera Histoires(s) du cinéma juste après).

Le cinéaste sortait de Détective, la mode était au polar, et Grandeur et décadence semble en annoncer la fin, comme un cycle qui se termine. La télé parle de cinéma et ce sont les deux Jean-Pierre les plus connus du cinéma français qui viennent faire acte de présence. D'ailleurs, il est assez étonnant que Mocky n'ait jamais employé Léaud dans ses films, ce sera la seule fois que les deux hommes soient ensemble au cinéma. C'est sans doute cela le geste le plus fort du film, réunir deux figures inédites.

Le scénario est le point noir du cinéma de Godard, à la télévision, pas mieux. En guise d'histoire, rappelons-le, censée être adaptée d'un roman (noir) de JH Chase, ce sont deux archétypes que les Jean-Pierre représentent. Mocky prend le nom de Jean Almereyda (le vrai nom de Jean Vigo) et Léaud celui de Gaspard Bazin, comme le fondateur des Cahiers du cinéma. Le premier est producteur de cinéma (mais que peut-il bien produire ?) et le second est réalisateur et fait passer des castings. Tout le monde clame que « Gaspard est bon pour les castings ».

Les castings constituent l'essentiel de l'action de Grandeur et décadence. Les demandeurs d'emploi défilent devant la caméra vidéo de Caroline Champetier. Ils donnent deux numéros : téléphone et sécu. Le comptable prénommé Reynald (le vrai comptable de la production du film), les yeux sur sa calculette, annonce qu'ils seront payés 20 francs brut et demande chaque fois à combien se montent les charges sociales (1,81 franc), il donne enfin des pièces à tous ces acteurs reçus dans les bureau de Albatros Films devant un Gaspard excité et vitupérant (ah ! Jean-Pierre Léaud et ses gestes brusques)

Ces chômeurs, debout, sortent les uns après les autres un ou deux ou trois mots d'une longue litanie sur les vivants contre les morts, puis on inverse les bouts de phrases dans une volonté d'absurde (comme dans Made in USA, parait-il aussi adapté d'un roman noir). Dans les bureaux, ils passent devant les affiches de Jour de fête, de L'Avventura et de La Ruée vers l'or. Puis, quand le film d'Almereyda ne se fera pas (là est le nœud du roman noir, cet argent qui a disparu, sans doute une escroquerie), le local devient le lieu d'un casting de danseurs.


L'épouse de Jean, Eurydice (Marie Valera) veut devenir actrice (elle ressemble à Dita Parlo, l'actrice de La Grande illusion), Jean Almereyda rencontre Godard qui vient voir Rassam (« il est mort »), qui vient faire un film avec Romy Schneider (« elle est morte aussi »). On cause d'argent, celui qu'on donne à Polanski alors que Jean pourrait en faire 10 avec cet argent. « Quel est le problème ? » dit Godard. Le budget de ce téléfilm a dû être minuscule, et c'est dans cette mise en abyme avec l'intervention de Godard acteur que le film vit un peu.



















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