dimanche 2 septembre 2018

Les Incorruptibles (Brian De Palma, 1987)

Le bébé commence par pleurer, puis prend un air étonné et finit par rire aux éclats. « Qui est ce bébé ? Mais le spectateur primaire du film, celui pour qui toute mise en scène est une source de plaisir ». Ce bébé spectateur évoqué par le critique Iannis Katsahnias (l'un des meilleurs défenseurs du cinéma américain dans les années 1980, on lui certains des plus belles critiques dans les Cahiers du cinéma) est celui de la célèbre scène du landau dans les escaliers de la gare de Chicago, citation post-moderne de l'épisode de l'escalier d'Odessa dans Le Cuirassé Potemkine.

La scène est fabuleusement gratuite, arrive en fin de film pour résoudre l'affaire Al Capone (il s'agit de « capturer » le comptable du malfrat), elle est un temps de suspension où le temps est dilaté, avec quelques ralentis sur la musique en crescendo d'Ennio Morricone, pratiquement la même que celle dans Mission to Mars (la séquence en suspension avec les gouttes de sang). Cela n'atteint pas les sommets de Mission impossible (Tom Cruise accroché à son câble dans une chambre blanche) mais c'est déjà immense pour un film de commande.

Dans cette séquence de l'escalier de la gare de Chicago, Eliot Ness (Kevin Costner) est un simple observateur. Je me suis toujours demandé pourquoi l'acteur avait été choisi. Je l'ai toujours trouvé banal, il est le gendre idéal et dans Les Incorruptibles, un bon père de famille, bien propre sur lui, à la santé saine, son épouse (Patricia Clarkson) lui donne à manger des carottes crues. Son arrivée à Chicago est désastreuse, il vient des Washington, c'est un gratte-papier et sa première mission se solde pas un échec cuisant (le titre du journal moqueur qu'il affiche sur le mur de son bureau).

Si son personnage est si fade (un effet Koulechov permanent) c'est que Brian De Palma préfère mettre l'accent sur se trois compagnons d'arme hauts en couleur. Le premier est Malone (Sean Connery) est un vieux flic un peu soupe au lait, qui dit ce qu'il pense sans prendre de précautions, il a été cantonné toute sa vie à un poste subalterne. Le deuxième est Wallace (Charles Martin Smith) un fonctionnaire binoclard, un comptable candide. Le troisième est Stone (Andy Garcia) est un Italien renégat qui a abandonné son nom, il est fin tireur (ça servira dans la scène de l'escalier).

Eliot Ness devient le nouveau shérif et Brian De Palma le filme avec ses trois adjoints non pas comme dans un polar mais comme son unique incartade dans le western, tendance Budd Boetticher avec ce salaud qui tient une ville sous sa coupe.. Il est ainsi logique qu'il se paie le luxe, non sans perversité, de quitter Chicago pour mettre ses quatre personnages sur un cheval dans la séquence de western proprement dite, située à la frontière canadienne. C'est le moment le plus euphorique qu'ont Eliot Ness et ses hommes. Malone et Wallace ne savent pas encore qu'ils vont mourir tragiquement.

A eux quatre ils comptent mettre fin au règne d'Al Capone sur la film. C'est ce combat que Brian De Palma fait semblant de décrire dans Les Incorruptibles. La scénario de David Mamet cherche à se défaire du manichéisme du film de gangsters (et de la série télé avec Robert Stack) en montrant la transformation de ce quatuor. De flics qui suivent la loi aveuglément, qui obéissent au règlement et à la hiérarchie, ils vont transgresser tous les codes de bonne conduite et se mettre au niveau de la pègre. Ils utilisent leurs méthodes pour les éliminer.

Inversement, tout spectateur sait qu'Al Capone est un affreux jojo mais il jouit d'une impunité (il a corrompu tout le monde) et terrorise avec son tueur à gages (Billy Drago) tout de blanc vêtu. Ses apparitions dans Les Incorruptibles ne sont pas nombreuses mais il occupe dans le film une place centrale. Le premier plan, en plongée, lui est offert. Al Capone (Robert De Niro) est chez le barbier où se il fait érafler la joue droite par le rasoir. Ce qui se lit sur le visage du barbier est de la terreur malgré la voix douce du malfrat et son léger sourire condescendant.


En regardant aujourd'hui Les Incorruptibles (un film que j'aime toujours autant) je ne peux pas m'empêcher de voir dans Al Capone le visage de Donald Trump. Quand Brian De Palma tourne son film en 1987, l'homme d'affaires est déjà au centre des média. J'ai regardé quelques vidéos de Trump qui date de l'époque et vraiment je me plais à croire que Robert De Niro a utilisé sa gestuelle (ses mains qui s'agitent), sa voix, ses regards balayant ses interlocuteurs pour créer son Al Capone. Comme d'habitude, Brian De Palma avait 30 ans d'avance sur l'histoire.




































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