Je
continue de regarder les films de Serguei Eisenstein, voici donc Le
Cuirassé Potemkine, 71 minutes qui concentrent une seule journée
en juin 1905. La Russie tsariste était en guerre contre le Japon
depuis quelques mois, la cause était la volonté du tsar de
coloniser les rives du fleuve Amour, tout au bout se trouve
Vladivostok. L'armée impériale est donc sur le qui-vive et l'action
du film commence dans les quartiers des matelots du Potemkine, les
soldats sont entassés sur des hamacs, dans une certaine promiscuité,
la chaleur estivale est accentuée par la vie dans les cales du
cuirassé, les soldats dorment tant bien que mal, torses nus, quand
un garde chiourme, un officier frappe un jeune et nouveau soldat au
fouet dans le dos, sans aucune raison valable.
C'est
par cet acte gratuit et violent que commence la mutinerie des marins
du Potemkine. Les coups font pleurer le jeune matelot, vite consolé
par ses camarades de chambrée. Dans ce confinement, la révolte
surgit rapidement. Puis, elle s'accentue sur le pont avec la
découverte de vers sur la viande qui doit être mangée par les
matelots. Enfin, Eisenstein commence à montrer les gradés, toujours
sur le même mode. Il prend le parti des marins, humiliés et mal
nourris, filmés à leur hauteur, alternant plans d'ensemble et gros
plans. Les gradés, du capitaine au médecin de bord sont en
contre-plongée, la caméra ausculte leur air vicieux, les regards
satisfaits de maltraiter leurs hommes.
Quand
le médecin observe avec ses binocles la viande, il affirme que ce ne
sont pas des vers mais des larves de mouches, que la viande est tout
à fait comestible. La confrontation visuelle entre deux modes de vie
prend son ampleur avec la présentation du coin cuisine des marins.
Du plafond, ils détachent des tables rectangulaires tendues par des
chaînes, des grosses gamelles de bortsch sont posées. Chez les
gradés, plusieurs matelots nettoient patiemment les couverts et les
assiettes sur lesquelles est écrit « Dieu, donne nous notre
pain quotidien ». Fou de colère devant cette phrase considérée
comme un affront, l'un des marins prend une de ces assiettes et la
jette par terre. Dans ce bris, toute la révolte est contenue.
Le
Cuirassé Potemkine est composé de cinq parties. Le seul
personnage qui se détache des autres est le marin Vakoulintchouk,
solide moustachu, qui va prendre la tête de la mutinerie. Il
organise une grève. Le Commandant du navire, absent du récit jusque
là, sort de son écoutille pour menacer les mutins et décide, rien
de moins, que de faire fusiller les rebelles. Il grimpe sur une
estrade pensant dominer la situation mais rien n'y fait. Seulement
voilà, une balle atteint Vakoulintchouk, tirée dans le dos comme le
font les lâches que ce sont ces gens de pouvoir. Cet unique
personnage disparaît du film mais sa révolte se répand dans toute
la population d'Odessa quand la ville apprend la mort du valeureux et
révolutionnaire marin.
C'est
la quatrième partie qui est restée la plus fameuse, celle de
l'escalier d'Odessa. Après avoir apporté des victuailles aux
insurgés, une partie de la population observe des escaliers le
cuirassé. C'est ce moment là que les soldats se lancent à l'assaut
contre la population dans l'escalier. Les soldats, dans leur uniforme
blanc (la couleur des tsaristes qui avaient lutté dans la guerre
civile de 1917 à 1922 contre l'armée rouge), marchent au pas,
mécaniquement, comme des marionnettes du pouvoir. Les tirs de leurs
fusils s'abattent sur les habitants. Cette foule tente de fuir et est
encerclée par les terribles Cosaques sur leurs chevaux.
Cette
foule enthousiaste est ainsi prise au piège. Eisenstein choisit
quelques figures, quelques visages comme autant d'exemples de la
tyrannie du tsar. Ce sont des victimes innocentes, ainsi cet enfant
touché que sa mère porte à bout de bras, ces habitants qui tentent
de convaincre les soldats de ne pas tirer, ils seront tous abattus
sans sommation et cette mère poussant un landau qui va dévaler
l'escalier lentement. La scène n'est pas célèbre uniquement pour
elle-même, Eisenstein crée une tension avec cet enfant innocent
pris dans des événements qu'il ne peut pas contrôler, mais aussi
pour l'influence sur d'autres cinéastes, la meilleure reprise est
dans Les Incorruptibles de Brian De Palma.
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