mercredi 26 septembre 2018

Phantom of the Paradise (Brian De Palma, 1974)

Dans mon texte sur Suspiria, j'écrivais que Jessica Harper était « mauvaise comme tout ». L'un de mes amis m'avait reproché ces termes peu élogieux en rappelant qu'elle joue dans Phantom of the Paradise. Je n'avais pas vu le film depuis des années et je me replonge dedans avec le tout beau DVD édité par Carlotta (merci à Thomas pour le cadeau). Jessica Harper est Phoenix, l'unique personnage féminin incarné de Phantom of the Paradise, beaucoup de femmes traversent les plans du film mais comme des silhouettes (le casting dans l'escalier) un peu vulgaires.

C'est la grâce de Phoenix, incomparable à celles des autres filles du casting ainsi que sa voix claire, qui attirent Winslow Leach (William Finley) le compositeur d'une cantate pop sur le mythe de Faust. Leach l'a jouée dans un précédent casting, de compositeurs cette fois et non de chanteuses, devant le regard de Swan (Paul Williams), le directeur du label Death Records dont le logo est un corbeau crevé gisant sur son dos, un logo dessiné comme une peinture de Roy Lichtenstein. Swan peut observer ceux qui viennent jouer mais eux ne peuvent pas le voir.

Il est dans les loges, tel un homme enfoui dans son secret. C'est un plan subjectif, comme si Swan était la caméra lui-même, on ne voit que ses mains en amorce du plan, des mains gantées et d'un signe, il donne un ordre à son sbire, Philbin (George Memmoli). Son poste d'observatoire, les nombreuses caméras de surveillance sont des éléments contemporains de Conversation secrète de Francis Ford Coppola (Jean-Bapiste Thoret cite tout autant le film de Zapruder que John Frankenheimer et The Mandchourian candidate), j'y vois un essai de ce que sera 24 ans plus tard le génial Snake eyes.

Pop, l'ouverture de Phantom of the Paradise l'est à son paroxysme avec ce groupe kitsch qui semble sortir de Happy Days, les Juicy Fruits, trois garçons dans le vent, veste et pantalon en jeans, cheveux gominés et paroles légères. Voilà qui fait vendre, c'est le produit d'appel de Swan, il regarde avec ennui mais il sait que les gens vont l'acheter. Swan quand il apparaît pour la première fois à l'écran m'a toujours étonné par son aspect de nabot, avec cette chevelure tombante blonde, sa démarche légèrement chaloupée et ses tenues glam rock.

Leach se glisse dans les couloirs circulaires des bureaux puis du château de Swan, d'où l'on rentre par des portes de basse taille, il cherche à tout prix à ce que Swan respecte le contrat signé. Au détour d'une porte, qu'il pense être le bureau du patron, il découvre comment Philbin fait passer les castings des chanteuses, en les mettant sur son canapé. Philbin n'est pas seulement le bras droit de Swan et parfois sa voix quand il ne veut pas s'adresser directement aux autres, il est aussi celui qui exécute les basses œuvres de son patron et Leach en sera la victime régulière.

Seulement voilà, la musique de Leach doit être transformée, transfigurée, travestie par Swan pour qu'elle soit rentable, d'où ce casting de femmes vulgaires puis la réécriture de la cantate en chansons pop et l'embauche de Beef (Gerrit Graham), rockeur dégénéré et décadent. Tout ce que le naïf Leach ne voulait pas, Swan le crée et pour se débarrasser du premier, ce dernier conspire contre lui, direction la prison où Leach perdra ses dents ainsi que sa voix avant d'être défiguré par la machine qui doit presser les 33 tours de Death Records.

Nous avons désormais quatre personnages masculins qui sont des monstres aux physiques peu avenants, tout l'inverse de celui de Phoenix. Brian De Palma n'a jamais caché les trois inspirations majeures de son film : Le Fantôme de opéra, le mythe de Faust et Le Portrait de Dorian Gray. Leach en revêtant sa tunique noire et ce masque d'oiseau (hommage à Franju) trouvés parmi les accessoires de Death Records devient un fantôme qui hante les coulisses de la boîte de Swan, enfermé pour composer des chansons que Phoenix va chanter.

C'est dans une version expressionniste avec des masques outrés que Beef va s'approprier les chansons destinées à Phoenix, la pauvre devra se contenter d'être choriste. Le show sur Faust a lieu dans un théâtre qu'inaugure Swan, le Paradise. C'est un spectacle aux décors qui évoquent le noir et blanc du Caligari, avec ses angles tortueux et ses figures géométriques contradictoires. Beef est un Faust grimaçant, mais angoissé que le Phantom s'en prenne à lui (scène de douche hommage à Psychose), et l'ensemble est d'un morbide de pacotille. Le finale, avec le mariage de Swan et Phoenix, anticipe celui de Carrie où Phantom, humilié, décide de décimer ceux qui l'ont fait souffrir.

Quand j'écris de pacotille, je n'entends pas que Brian De Palma traite son sujet et son récit superficiellement. Au contraire, c'est tout un monde qu'il crée. Rarement le cinéaste a imaginé une ville et des personnages qui sont aussi éloignés de la réalité américaine, la ville est un Xanadu qui n'existe nulle part, une vue de l'esprit totalement différente du Staten Island de Sœurs de sang ou de la Californie de Carrie, pour ne parler que ds deux films qui entourent Phantom of the Paradise et ce Xanadu est Hollywood dans toute son horreur.


Car finalement ce que vit Winslow Leach dans son parcours de compositeur interprète n'est rien d'autre que l'allégorie du sort de nombreux cinéastes, et pour Brian De Palma cette réalité qu'a essayé d'être le Nouvel Hollywood avec ce supplément de réalisme et d'ancrage politique. Par des chemins détournés, en plongeant dans les affres et les rets du fantastique, Brian De Palma touche à la vérité de l'industrie du divertissement et en montre le masque porté par les producteurs pour cacher le visage hideux sous des atours délicats et plaisants.









































1 commentaire:

Tom Peeping a dit…

Jessica Harper est mauvaise comme tout dans Phantom of the Paradise comme ailleurs. Elle handicape sérieusement le film par son amateurisme et l'empêche a mon avis d'aller au sommet qu'il atteignait avec une autre actrice au casting. Il y a des acteurs incompétents, même dans les plus grands films, elle en fait partie. Manque de jugement de la part de De Palma.