samedi 22 septembre 2018

Moïse et Aaron (Danièle Huillet & Jean-Marie Straub, 1974)

Passer des 10 commandements à Moïse et Aaron, c'est le grand écart assuré, passer de l'immense cinémascope au cadre 1:37, des grands décors et des effets spéciaux au hiératisme d'une poignée d'acteurs dans une ruine. Pourtant les Straub n'envisagent pas leur film autrement que comme du grand spectacle, dans une adaptation d'un opéra d'Arnold Schönberg écrit en 1932 et inachevé, rarement joué vu la petite popularité du compositeur.

Moïse et Aaron est le deuxième film musical de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub mais commence par la voix parlée de Moîse, dans un plan séquence de près de neuf minutes qui commence sur la nuque du prophète. Il parle, de quoi ? De dieu bien entendu, ce Dieu « unique, éternel, omniprésent, invisible et irreprésentable » . Et Dieu lui répond mais cette fois en chantant.

Dans cette très belle ouverture c'est ainsi le dialogue paradoxal entre l'homme qui parle, qui vit au présent, qui apparaît à la caméra et le chant divin, composée de voix féminines dans une litanie. La musique de Schönberg est lyrique, dans des envolées où les harmonies s'opposent aux mélodies comme Dieu s'oppose à l'homme. C'est un dialogue qui a lieu pendant l'épisode du buisson ardent incarné par ces voix.

La caméra commence ensuite un panoramique de près de 300°, quittant la nuque de Moïse pour embrasser le paysage sur ces airs vocaux. C'est le paysage qui est filmé qui va accueillir le grand événement de la vie des deux frères, celui de l'épisode du veau d'or, construit par Aaron pendant que Moïse est allé chercher les tables de la Loi. C'est leur affrontement qui est mis en scène tout autant que celui entre l'homme et le divin.

Après Othon, ce nouveau film en costumes antiques dans des ruines est d'une ampleur bien supérieure. Les Straub organisent une chorégraphie avec cinq danseurs en peau de bête, on découvre le serpent issu du bâton de Moïse, la main léprosée, l'eau devenue sang et aussi l'orgie devant de veau d'or, avec bien moins de figurants que chez Cecil B. DeMille. Straub et Huillet montrent la chair avec ces corps nus.

J'avais vu ce film au cinéma il y a quelques années (je crois que c'était en 2001), j'en gardais des souvenirs forts. Mais cette fois, c'est la musique et les chants (en allemand) qui m'ont impressionnés. La construction musicale se répercute sur la construction des plans des cinéastes, sur la composition des cadres avec des panoramiques abrupts pour passer de Moïse aux autres personnages, c'est le cinéma de la « frivolité » des Straub selon le bon mot de Serge Daney.


Le film est entièrement tourné en son direct, en tout cas les chants de l'opéra, seule la musique était déjà enregistrée et diffusée hors champ. Le peuple est représenté par 66 choristes de la radio autrichienne et les Anciens par 17 basses et barytons. Le tout a été filmé en Italie (comme Othon et Leçons d'histoire). Un seul plan a été tourné en Egypte, à Louksor pour faire une image de la traversée de la mer rouge.






















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