lundi 12 septembre 2016

Le Diable (Andrzej Zulawski, 1972)

En regardant la toute première séquence du Diable, je ne pouvais pas m'empêcher d'imaginer la tête des patrons d'Andrzej Zulawski, l'institut du cinéma polonais, quel que soit son nom, en découvrant ce qui se passe sur l'écran. Le film en costumes, le récit d'époque sur une période trouble de la Pologne, quand la Prusse décide de l'envahir, une histoire prometteuse sur la résistance de la Nation se transforme par la magie folle furieuse du cinéaste en chaos indescriptible, en bataille de nerfs, en cris sans chuchotements. Le style d'Andrzej Zulawski est là, pendant deux heures, et cela lui vaudra une censure de son pays. Le Diable ne sera vu en Pologne que 15 ans plus tard.

Cette séquence d'ouverture se déroule dans un asile de fous, la caméra traverse les couloirs lugubres de ce qui ressemble au sous-sol d'un château. Les fous et les aliénés, des deux sexes, en haillons, crient, hurlent, éructent, fixent la caméra, s'arrachent les cheveux, déchirent vivement leur vêtements, se roulent par terre, esquissent des gestes de déments. Tout ça dans un bruit assourdissant car les voix se superposent et s'entrechoquent et tout est filmé à un rythme effréné, un tempo qui prendra le spectateur jusqu'au finale. En tout cas moi, je suis allé rejoindre cette farandole zulawskienne. Tout ça pour arriver au fin fonds d'une cellule.

Dans cette cellule aux barreaux de bois, Jakub (Leszek Teleszynski, déjà l'acteur principal de La Troisième partie de la nuit), cheveux hirsutes, barbe fournie et toujours ces sourcils qui se rejoignent. Jakub se fait délivrer par un homme (Wojciech Pszoniak), à moins que ce ne soit le diable du titre. Un barbu blond qui avancera le dos constamment courbé, observant Jakub de loin comme de près, lui guidant ses gestes, l'aidant à avancer vers sa destinée. Le diable libère également une nonne qui s'avère être sa sœur. Le trio traverse dans l'autre sens tout l'espace que nous venons de traverser et le périple à travers le chaos polonais commence.

Plutôt que parler de mise en scène cinématographique, je devrais écrire chorégraphie tant les déplacements des acteurs au sein du cadre apparaît comme un ballet. Mais une chorégraphie contemporaine comme on parle de musique contemporaine (d'ailleurs, on retrouve les guitares stridentes et les ruptures de ton dans la bande originale, loin des violons et clavecin auxquels un film qui se déroule au 18ème siècle nous a habitués). La caméra en mouvement précède toujours le personnage qui ne cesse d'avancer, parfois de traverser les saisons en un seul plan, de changer de lieu, d'ouvrir les portes sans jamais s'arrêter d'étonner.

Conseillé par le diable, Jakub va semer la mort partout où il se trouve et croiser des cadavres. Armé de sa lame de rasoir, il croise beaucoup de femmes. Sa fiancée va se remarier avec un Républicain, sa mère s'avère être une prostituée, la nonne reste figée devant le cadavre du père, une artiste de cirque l'attire. Les yeux sont écarquillés, les dialogues lancés avec rapidité sur un ton solennel. Comme pour les déplacements chorégraphiés, les visages et les gestes, surtout les mains, sont théâtralisés à l'extrême. Plus encore que La Troisième partie de la nuit, regarder Le Diable demande de l'endurance, le nombre de morts est très impressionnant et éprouvant.




















Aucun commentaire: