jeudi 8 septembre 2016

La Cérémonie (Nagisa Oshima, 1971)

« On ne se rencontre que pour les mariages et pour les enterrements dans notre famille » dit Masuo Sakurada (Kenzo Kawarazaki), 39 ans, à sa cousine Ritsuko (Atsuko Kaku). Tous les deux ont reçu un télégramme de Terimichi (Atsuo Nakamura), leur oncle illégitime, leur annonçant son intention de se suicider. Le voyage depuis Tokyo est long. Ils doivent d’abord prendre l’avion, puis le train et enfin le bateau avant de pouvoir retrouver la demeure du clan Sakurada. Durant ce voyage, Masuo va se remémorer plusieurs moment de sa vie, depuis son enfance jusqu’à aujourd’hui (en 1971 date de réalisation de La Cérémonie). Chaque souvenir, au nombre de cinq, est lié par un enterrement ou un mariage, comme autant de cérémonies. Le personnage lance en voix off ces évocations.

La première partie située en 1947 permet de découvrir l’enfance de Masuo. Né en Mandchourie, il est rapatrié au Japon en 1946 après que son père se soit suicidé le jour où l’empereur a renoncé à son caractère divin. Cette cérémonie commémore le premier anniversaire de la mort de son père. C’est son grand-père Kazuomi (Kei Sato), cheveux blancs et vêtu d’un kimono qui préside. Assis en tailleur au centre de la pièce avec à ses côtés Masuo enfant, il fait en sorte que le cérémonial soit appliqué à la lettre. Masuo a trois oncles : Isamu (Hosei Komatsu), communiste, Mamoru (Mutushiro Toura), Susumu (Fumio Watanabe), en prison pour crimes de guerre, et une tante, Setsuko (Akiko Koyama). Son présents également sa cousine Ritsuko, son cousin Tadashi (fils de Susumu) et Terimichi, son oncle à peine plus âgé que lui et né d’une liaison adultère de Kazuomi.

Les trois générations vont se rencontrer en 1952 pour l’enterrement de la mère de Masuo. Il est désormais étudiant et joue au base-ball. Il succombe au charme de sa tante Setsuko avec laquelle il perd sa virginité. Kazuomi, en tant que patriarche, s’arroge un droit de cuissage sur elle. Setsuko n’est pas sa fille légitime, il l’a adoptée. Il exerce ainsi son pouvoir tyrannique sous les yeux de Masuo, comme pour encore plus les humilier. La troisième cérémonie se déroule en 1956 lors du mariage de l’oncle communiste. Susumu est sorti de prison et il ne dira pas un mot. Son fils Tadashi, devenu policier, est partisan d’un mouvement d’extrême droite. Chaque invité chante une chanson révélant sa personnalité et la division politique de la famille : une chanson nationaliste, l’Internationale, une chanson de geisha. Le lendemain du mariage, Setsuko est retrouvée morte, un sabre planté dans le ventre. Kazuomi déclare que c’est un suicide. Masuo pense que son grand-père l’a tuée.

Masuo se marie en 1961. Son grand-père a choisi l’épouse présentée par le maître de cérémonie comme une jeune fille japonaise pure et parfaite. La salle est remplie d’invités dont toute la famille Sakurada. Seulement voilà, la mariée s’est faite porter pâle. Cela n’empêche pas la cérémonie de se poursuivre, Masuo tenant la main à une personne invisible. Kazuomi assume son rôle de patriarche devant ce mariage grotesque qui sera perturbé par Tadashi, venu lire une déclaration d’extrême droite. Sorti manu militari de la pièce, on apprend qu’il s’est fait renversé par une voiture. Le grotesque se poursuite quand Masuo saute sur son grand-père simulant sa nuit de noces. Puisque l’épouse est absente et que Kazuomi l’a choisie, il peut tout aussi bien la remplacer. Enfin, dans un dernier geste de folie, il enlève le cadavre de Tadashi de son cercueil, se déshabille et s’y couche dedans. Sa cousine Retsuko l’y rejoindra.

Masuo ne verra plus sa famille jusqu’en 1971 lors de l’enterrement de son grand-père. En tant qu’héritier, il doit présider à la cérémonie. Ce rôle, parodiant celui de Kazuomi, il le refuse. Narrateur du film, Masuo observe les événements plus qu’il ne les vit. La Cérémonie agit comme un concentré d'une noirceur terrible de l’Histoire du Japon entre 1946 et 1971, montrant la perte d’influence de Kazuomi, le chef de clan, personnage miroir de l’empereur, pointant les violences politiques comme l’explosion de la famille, noyau du pouvoir au Japon. Cette histoire remplie de cadavres est d’autant plus terrifiante que Nagisa Oshima la filme avec un calme et une précision redoutables dans un huis-clos que le cinémascope rend encore plus étouffant.






















Aucun commentaire: