samedi 17 septembre 2016

Désiré (Sacha Guitry, 1937)

Dans son entretien accordé aux Cahiers du cinéma, Justine Triet expliquait que le personnage de Vincent Lacoste dans Victoria était lointainement inspiré de celui de Sacha Guitry dans Désiré (tiens, deux prénoms en titre de film). Désiré est un valet de chambre qui a une réputation peu enviable pour se faire embaucher. Il tombe amoureux de ses patronnes (Guitry les appelle ses « maîtresses », Désiré les appelle « Madame »). Madame, c'est Jacqueline Delubac et elle est la maîtresse de Montignac (Jacques Baumer), le ministre des postes et télécommunication. Or, Madame veut partir à Deauville dès le lendemain matin et a besoin d'un valet de chambre.

La règle du jeu entre domestiques et patrons dans Désiré est très simple. Ce sont les domestiques qui décident de tout mais ce sont les patrons qui donnent les ordres. Dans la cuisine, ils sont trois. Outre Désiré qui veut rentrer au service de Madame, Adèle (Pauline Carton) est la cuisinière qui aime boire du vin rouge et Madeleine (Arletty) qui fume des cigarettes et se verrait bien porter les robes de Madame. Dans le salon, Madame s'apprête à recevoir Désiré et à lire sa lettre de recommandation de son ancienne maîtresse. Madame va appeler cette comtesse, après avoir pourtant affirmé au ministre qu'elle n'aura pas besoin de la faire.

La comtesse, tout en caressant son lévrier, raconte que Désiré a eu un geste. Madame veut donc le renvoyer (voici l'ordre qu'elle lance à Désiré), mais il affirme qu'il serait très bien à ce poste (voici la décision de rester à son service). D'ailleurs, Adèle et Madeleine lui ont dit que c'était une bonne maison. Il va donc convaincre Madame qu'elle doit absolument l'embaucher car sinon sa réputation à elle risquerait d'en pâtir. C'est toute la logique des dialogues et répliques de Sacha Guitry qui est à l’œuvre et qui consiste à jouer sur le sens des mots, à s'en servir pour retourner le contenu et l'exposer dans la vérité des relations entre patrons et domestiques.

Entre Madame et Désiré, c'est un jeu du chat et de la souris. Delubac et Guitry sont très rarement dans un même plan seuls. Ils sont accompagnés du ministre, ou d'une autre employée. Quand ils sont face à face, Sacha Guitry utilise le champ-contrechamp. Et pour les réunir tous les deux dans le même cadre, il aura recours à un miroir et il s'approchera d'elle si près qu'elle en aura peur. Puis, ce sera en rêve qu'il la rejoindra. Même la confrontation finale est en champ-contrechamp avec ce long monologue de Désiré Guitry débité à toute vitesse, sans être interrompu. C'est réjouissant ce tempo tellement loin de la diction précieuse et théâtrale des films de l'époque.

Ce qui est encore plus réjouissant dans Désiré, c'est cette scène de repas où le ministre et Madame ont invité un couple d'amis. Pas de chance pour eux, lui (Saturnin Fabre) n'a pas pu venir mais l'épouse (Alys Delonce) sourde comme un pot débarque et il faut bien lui faire la causette mais ils trouvent l'épouse stupide. Entre chuchotements, hurlements, cachotteries, éructations, les dialogues sont mis en scène avec une grande précision. Puis, c'est la goujaterie superbe de Saturnin Fabre. Guitry venait de cette classe sociale dont il se moque, ce qui rend Désiré si grandement amusant, c'est qu'il s'en moque volontiers, il s'en moque beaucoup et il s'en moque bien.























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