samedi 5 septembre 2020

Soupçons (Alfred Hitchcock, 1941)

Revoir Les Cadavres ne portent pas de costard (la séquence inaugurale dans le train de Soupçons est dans le film) puis La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (le verre de lait qui revient régulièrement) m'a donné envie de revoir Soupçons. Je dis bien revoir car j'avais absolument tout oublié du film d'Alfred Hitchcock, c'est-à-dire tout ce qui se passe entre la séquence du train où Johnnie Aysgarth (Cary Grant) rencontre pour la première fois Lina (Joan Fontaine) et ce verre de lait qu'il lui apporte en fin de film.

Alfred Hitchcock réalisateur de film à suspense. Que nenni ! Dans Soupçons, il se lance dans une comédie du mariage comme s'il était Ernst Lubitsch ou Leo McCarey. Cary Grant joue la légèreté et l'insolence à fond dans la séquence d'ouverture. Il débarque dans le noir dans la cabine du train. Il trébuche sur la jeune femme en face de lui. Joan Fontaine, avec ses petites lunettes rondes, lit son livre sur l'éducation des enfants, réagit à peine. Il lui parle mais elle ne répond pas vraiment. Il sourit d'un sourire de séducteur, cela la laisse de marbre.

Puis arrive le contrôleur. Johnnie sort son billet de troisième classe, s'étonne qu'on lui aie vendu un tel billet à la place de la première classe où il se trouve. Puis vient le moment de payer l'amende. Il n'a pas l'argent. Avec son culot monstre, il quémande de l'argent à Lina, qui n'en a pas. Il voit un timbre, le pique du sac à main de sa voisine d'en face, le donne au contrôleur à qui il dit, avec un grand sourire narquois, qu'il pourra écrire à sa maman. Hitchcock sait faire de la comédie et Cary Grant est parfait dans le rôle de cet impertinent.

Décor suivant, un village du Wessex en Angleterre. Une chasse à courre se prépare. Un gros plan, celui du visage de Lina. Elle est sur son cheval et Johnnie se détourne de ce qu'il fait, des mondanités, pour ne regarder plus qu'elle. Des amies de Lina viendront plus tard chez elle pour lui présenter cet homme qu'elle connaît déjà. Elle connaît aussi sa réputation sulfureuse qui fait les potins des magazines qu'elle lit en les cachant dans ses livres plus respectueux. La voilà totalement fasciné par cet homme qui va s'emparer.

Il le fait par étape. Il se fait attendre et joue sur le manque qu'il crée. Il faut dire que la jeune Lina vit avec des parents qui sont persuadés qu'elle va finir vieille fille. Elle entend une conversation. Sans doute là se décide son destin, aller à l'encontre de son rang pour se laisser prendre par ce mondain désargenté. Mariage secret et découverte que le mari ment, joue, vend les bijoux de famille (deux fauteuils imposant mais affreux). Certes son mari est fantasque mais pour l'instant Lina ne s'inquiète que de l'argent du ménage qui manque un peu.

Au beau milieu du film, à la 45ème minute, Alfred Hitchock fait cadrer Cary Grant en semie contre plongée. Son regard devient inquiétant. Il perd soudain de son entrain. Cela arrive juste avant l'apparition d'Alfred Hitchcock dans la rue du village, manière de dire que c'en est fini de Lubitsch, place à Hitch. Beaky Thwaite (Nigel Bruce) le meilleur ami de Johnnie entre dans le récit. Bon gros vivant, Beaky fait le fanfaron en voulant boire un verre de Cognac. Il sait pourtant que cela risque de le tuer. Et cela le tuera d'ailleurs plus tard dans le film.

C'est sur ces soupçons filés, comme on parle de métaphore filée, que se joue le suspense de Soupçons. Lina voit une chose, elle l'analyse à sa manière et craint qu'elle ne devienne une victime de cet homme qu'elle connaît si peu. Elle décerne dans tout ce qui l'entoure des signes des menaces qui pèsent sur elle. Livres, lettres et scrabble. Lina lit beaucoup de livres, Johnnie tout autant. Hitchcock accumule les indices qui inquiètent Lina de plus en plus persuadée qu'il en veut à sa vie.

Isabel Sedbusk, l'Agatha Christie du coin qui prête ses propres romans policiers donc ses méthodes pour tuer les gens, les lettres de dette découvertes par hasard, le mot mudder qui devient murder sur le plateau de scrabble. Tout est éparpillé pour que ces soupçons prennent forme. Le grand tableau, hideux et académique du général le père de Lina remplace les peintures abstraites (on distingue une sorte de Picasso, une toile cubiste) est là pour la protéger mais rien n'y fait, les soupçons deviennent la seule chose à laquelle elle pense.

Le dôme vitré sur surplombe leur salon a une fonction d'emprisonnement de Lina chez elle. Les ombres portées sur le sol et les murs semblent devenir des barreaux d'une cellule. Petit à petit l'étau se resserre sur elle. C'est dans cette combinaison d'effets que Hitchcock délivre sa séquence du verre de lait. D'abord une lumière crépusculaire et angoissante, ensuite Cary Grant qui se déplace lentement en plongée. Il sort de la lumière pour entrer dans ce cadre formé par le dôme. Puis le verre de lait, objet de l'empoisonnement attendu et espéré.


Jusqu'à cette scène, tout était raconté du point de vue de Lina. Elle est la narratrice du film, jamais on ne voyait Johnnie seul faire ses petites affaires qui aiguisent les soupçons de son épouse. Ici, Lina ne voit jamais son mari faire ce parcours, c'est un pur transfert mental auquel opère Hitchcock mais tout concourt à faire de Johnnie un assassin. Bill Krohn l'explique dans son « Hitchcock au travail », on comprend qu'après une scène d'une telle force, Hitchcock ait eu du mal à trouver une fin acceptable.








































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