mardi 22 septembre 2020

Le Retour de l'Inspecteur Harry (Clint Eastwood, 1983)

A 53 ans, Clint Eastwood se décide à réaliser lui-même un Dirty Harry. A cela, deux raisons objectives, après les échecs commerciaux de deux de ses meilleurs réussites artistiques (Bronco Billy et Honkytonk man), il veut s'attribuer un gros succès au box-office et quoi de mieux que de reprendre Harry Callahan sept ans après L'Inspecteur ne renonce jamais. Ensuite, il veut aussi permettre à Sondra Locke, sa compagne d'alors, de devenir une star du cinéma. En tout cas, je vois ainsi les choses qui purent, entre autres, mener à la réalisation du Retour de l'inspecteur Harry (je préfère le titre américain, sec et évocateur Sudden impact).

On reconnaît dès la première séquence cette patte typique de Clint Eastwood, filmer la nuit avec très peu de lumière, dans un clair-obscur qui passe formidablement bien dans une salle de cinéma mais beaucoup moins en vidéo. Bord de mer, une voiture, un homme et une femme, une scène de drague où il filme les yeux de l'actrice, des yeux qui promettent une mort, celle de cet homme qui va l'embrasser. Elle défait la braguette et pendant que l'homme pense faire son œuvre, elle sort un revolver et tire deux fois : dans les couilles puis dans la tête. Elle sort de la voiture, se dirige vers la falaise, observe l'horizon. Il est encore trop tôt pour savoir ce qui se trame derrière les yeux de Sondra Locke, le film le dira plus tard.

Cette femme que joue Sondra Locke s'appelle Jennifer Spencer, elle est peintre. Elle a une exposition en cours, elle s'y rend en portant des lunettes de soleil. Clint Eastwood cache les yeux de Jennifer, ces yeux qu'on voyait à peine dans la séquence du meurtre. Il y a un jeu dans sa mise en scène avec ce qu'elle voit (le point de vue subjectif) et ce qu'elle refuse de voir (l'absence de point de vue). Mais Jennifer surtout se rapproche de l'inspecteur Harry Callahan (Clint Eastwood) qui porte lui aussi des lunettes noires la plupart du temps. Ainsi, le film les met directement sur un pied d'égalité. Chacun, avant qu'ils ne se rencontrent enfin au milieu du film, aura sa séquence en parallèle, dans une double narration destinée à se rejoindre.

Les toiles exposées de Jennifer Spencer sont sinistres, c'est ce que sous-entend à demi-mots la galeriste. Elle parle d'intensité du regard mais confesse qu'exposer ces peintures lui fait un peu froid dans le dos. Les mâchoires serrées, Jennifer n'éprouve aucune réaction à ce jugement de valeur mais un flash-back étonnant va expliquer cette noirceur. Il vient juste après une visiter de l'artiste à sa sœur Elizabeth recluse dans une clinique. Elizabeth ne dit pas un mot, son regard est vide, ses yeux ne vivent plus. Jennifer lui annonce qu'elle a commencé à accomplir leur vengeance. Elle se rend alors à San Paulo pour restaurer les chevaux d'un carrousel dans un parc d'attractions. Elle réside dans une maison isolée en bord de mer.

Si je disais que ce flash-back de Jennifer Spencer est étonnant c'est que jusqu'à présent dans aucun épisode des Dirty Harry une explication, voire une justification, pour les meurtres accomplis. Dans les autres films, on avait droit à un psychopathe, des flics miliciens et des terroristes cupides. Là, Clint Eastwood pardonne par avance les morts qui vont arriver. Jennifer et Elizabeth ont été violées sur la plage de San Paulo par cinq hommes et une femme. Je trouvais assez peu subtil ce flash-back (d'autant qu'il revient chaque fois qu'elle exécute un bourreau) mais il permet aussi de présenter ces violeurs, de montrer leur visage et, en fin de compte, de délivrer le décompte macabre de cette vengeance à venir et à accomplir. Ce qui sera fait in extenso.

Dans le récit parallèle de Harry Callahan, l'inspecteur fait sa petite routine comme dans les autres films. Ce sont les habituelles séquences du film ici tournées en dérision. L'habituelle pause déjeuner perturbée par des cambrioleurs, là ils osent, les abrutis qui semblent n'avoir jamais entendu parler de Harry, braquer le café habituel de l'inspecteur. La serveuse met du sucre dans le café de Harry, celui-ci ne remarque pas les malfrats, trop occupé à lire le journal, mais dès qu'il goûte le breuvage, il comprend et dézingue les affreux jojos en sortant sa nouvelle phrase punchline « go on you make my day ». Autre séquence éprouvée : l'arrestation musclée pour laquelle il se fait engueuler. Autre moment détournée du premier film, une poursuite en bus, mais cette fois les passagers, des personnes âgées, se sont amusées comme des enfants dans une attraction. Et pour apporter un peu de comique, Horace (Albert Popwell) offre un chien à Harry, un chien qui pète et grogne.

Pour faire se rencontrer Jennifer et Harry, le scénario fait dans la facilité : Harry est chargé de quitter San Francisco pour enquêter à San Paulo puisque le premier mort vient de là et l'accueil par le shérif (Pat Hingle) n'est pas chaleureux. Callahan doit prendre des vacances. Mais la facilité reprend le dessus. Je ne sais pas comment les malfrats qui peuplent Le Retour de l'inspecteur Harry se débrouillent, mais ils savent toujours où leur ennemi se trouve. Là aussi le film joue avec les codes, ils les déjouent surtout. Dans la première moitié, les ennemis de Callahan le poursuivent pour le buter et débarquent par miracle, mais dans la deuxième partie c'est Callahan qui parvient avec une facilité exemplaire à trouver tous les hommes qui ont violé les deux jeunes femmes. Mais le plus amusant c'est que ça passe parce que ces situations stéréotypées et éprouvées ne sont pas les éléments qui structurent le film.

L'inversion des valeurs du film, comme une courbe de statistiques qui se croisent, est l'élément qui dynamite le récit. Jennifer et Harry se croisent enfin, se jaugent et finissent, après un verre dans un restaurant, par coucher ensemble. Cela passe par une entente commune pour éliminer les violeurs et leur chef de bande, la « gouine » Ray Parkins (Audrie J. Neenan), femme vulgaire et gueularde ainsi que le pire de tous Mick (Paul Drake). Callahan sait que Jennifer tue ses bourreaux mais ils n'en parlent jamais. Jennifer ne se satisfait pas de tuer, ses nouvelles peintures qui le représentent deviennent morbides et elle ne supportent plus son visage dans les miroirs. La dernière séquence dans le carrousel, évoquant celle de la fin dans La Maison de bambou de Samuel Fuller (auquel on pense souvent) montre à quoi peut servir la corne d'une licorne. C'est dans ce genre de petit détail sur lequel Clint Eastwood se pose sans sourciller qu'on voit la force du film.






























 

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