mercredi 2 septembre 2020

Enorme (Sophie Letourneur, 2019)


D'avion en avion, d'hôtel en hôtel, de récital en récital, le rituel de Claire Girard (Marina Foïs) est toujours le même. C'est son mari Fred (Jonathan Cohen) qui s'approche avec les valises vers la réception, s'adresse à l'employé et dit, dans la langue du pays où ils se rendent, qu'il est Claire Girard. Souvent dans une ville (à New-York par exemple), le réceptionniste pense qu'il est Claire cette pianiste soliste renommée et propose une option « call girl ». Il doit alors confesser qu'il n'est pas Claire mais Fred « I'm Fred don't be afraid » (calembour).

Elle est toujours derrière lui, il avoue qu'il est à la fois son mari, son impresario et son homme à tout faire. Il ne veut pas qu'elle se fatigue, ça fait un drôle d'effet de les voir tous les deux arriver, lui comme une fusée dans les hôtels ou les salles de spectacles, elle en douceur. Puis elle se repose dans la chambre, derrière on voit la tout de Pise, l'Empire State Building. Il sait choisir les meilleurs endroits pour qu'elle se sente une star. Et soudain, il propose de la relaxer, elle s'allonge sur le lit, il met sa tête entre ses jambes et lui fait un cunnilingus.

Voilà dans ces premières minutes de Enorme le ton que donne Sophie Letourneur à son nouveau film. Ce ton est celui de la pure trivialité, elle fait ça depuis 15 ans, depuis ses courts-métrages comme le formidable La Tête dans le vide. La cinéaste s'est calmé sur le flot de paroles des ses personnages. Ici Marina Foïs, qu'on connaît pourtant très volubile, ne joue qu'avec son visage et son corps, elle devient une actrice très physique. C'est Jonathan Cohen qui parle pour deux puisqu'il est à la fois Fred et Claire Girard quand il s'adresse aux autres.

Le film se déploie sur cet espèce d'hyperréalisme proche de celui de Luis Buñuel comme d'Eric Rohmer, des situations banales où la parole rythme les situations. Ce sont des longues scènes de discussions, surtout en champ contre-champ, qui font exister l'action que vivent les personnages. Mais entourée, lui seul parle pour deux. Certes Claire est une star du piano (la réception dans l'ambassade est géniale pour ses répliques strictement phatiques, totalement dénuées de sens) mais sans fans réels (un seul jeune homme vient demander un autographe).

Cette existence pour l'art est la création de démiurge de Fred. On est dans une comédie (avec somme toute très peu de personnages secondaires pour faire rebondir le scénario, la mère de Fred, la prof de piano de Claire) mais tout cela pourrait être un drame français sur l'abus de pouvoir d'une homme pour sa femme. C'est probablement cela qui est le plus étonnant dans Enorme, on a quand même du mal à trouver que Fred est un salaud, filmé par Maïwenn ou Xavier Legrand, cet homme serait un pervers narcissique et traité sur un ton dramatique.

Car ce que va faire Fred, faire tomber enceinte Claire sans qu'elle ne le sache, est un abus de pouvoir. Lui ne semble pas s'en rendre compte, il faudra que cela lui soit expliqué clairement. On sourit moins dans la deuxième partie du film, le réalisme se fait plus précis dans les allers retours dans les services de gynécologie. Le but du jeu est qu'enfin Claire redevienne la vraie Claire et que Fred ne soit plus double. Alors ça passe par le documentaire, la vision clinique de la naissance attendue par Claire qui n'en peut plus d'être énorme.

Le film lance une intrigue croisée secondaire assez mal exploitée, celle d'un concert, une œuvre de Ravel avec orchestre où le piano solo serait pour la première fois joué par une femme. Fred engage Claire dans ce défi presque sans son accord. La date du concert aura lieu le 29 février, l'accouchement le 27 février. Sophie Letourneur a bien de la peine a créer un suspense valable dans la tenue de ses deux dates. Elle se cantonne sur l'accroissement de la démence de Fred mais le film est tellement différent qu'il vaut le coup d'oeil.

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