dimanche 27 septembre 2020

Le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972)

« We're not taking the picture without Michael. » dit Vito Corleone (Marlon Brandon) à son fils Santino dit Sonny (James Caan) puis le dit en italien au photographe prêt à prendre en photo la famille. Ce qui donne plus simplement dans les sous-titres français « où est Michael ? - Michael, il est trop tôt – on attend Michael ». Ne pas prendre la photo sans Michael (Al Pacino) c'est indiquer dès les 10 premières minutes du Parrain qui est le centre gravitationnel du récit, ce fils pour l'instant absent du mariage de sa grande sœur Connie (Talia Shire) dans cette cérémonie sous le soleil newyorkais de l'immense propriété des Corleone.

Prendre une photo en début de film est important pour tout le scénario puisque petit à petit pendant les 2h48 du Parrain la plupart de ses membres va mourir avec comme dessein de laisser Michael devenir le Don Corleone. Ce mariage initial permet de présenter la famille. Vito, l'actuel Don Corleone, le dira en fin de film à Michael, il a voulu le préserver de cette famille, le faire sortir de la mafia sicilienne. Ainsi ce sont les deux grands frères qui suivent les pas du père, L'aîné Santino époux volage et homme violent et le cadet Freddy (John Cazale), relativement absent du film, franchement dégénéré.

Pour le premier plan de Michael dans le Parrain, il apparaît de dos, tenant à sa droite sa petite amie Kay Adams (Diane Keaton). Michael est en uniforme de soldat, tout fier de le porter et sans aucun doute conscient que c'est un moyen pour lui, en cette période juste après la seconde guerre mondiale, de s'extraire de cette famille. A Kay, il dira « c'est la famille, c'est pas moi ». Les plans suivants de Michael le montrent danser au milieu des autres, presque incognito, même si tout les invités le reconnaissent et le saluent. Michael est encore souriant mais il prend son visage mélancolique dès que Kay demande qui est cet homme patibulaire qui parle tout seul derrière eux.

Pendant la mariage où chacun fait la fête, danse et chante – comme Carmela (Morgana King) la mamma Corleone – le parrain reçoit dans l'obscurité de son bureau. Le soleil contre les ténèbres des affaires louches. « I believe in America » sont les premiers mots du film, un gros plan sur un visage et un zoom arrière qui fait découvrir le bureau de Don Corleone qui écoute ses obligés, sortant la phrase mondialement célèbre et reprise « je vais faire une proposition qu'il ne peut pas refuser ». Derrière, un peu en flou avant d'apparaître comme un personnage de premier plan, le consigliere Tom Hagen (Robert Duvall), le fils adoptif de la famille Corleone.

Après ce long et magnifique du prologue du mariage et des rendez-vous du bureau obscur réglé avec ce montage parallèle qu'affectionne tant Francis Ford Coppola, il est temps de voir ce qui arrive quand on refuse une proposition du parrain. L'un des filleuls de Don Corleone, le chanteur de charmes Johnny Fontane aimerait le premier rôle dans un film hollywoodien. Ton Hagen se rend à Los Angeles, rencontre non sans accroc le réalisateur, un grand amateur de pur sang. Le réalisateur est récalcitrant, mais Tom Hagen ou l'un des sbires de la famille sait faire revenir l'homme à la raison en coupant la tête du canasson et en le mettant dans le lit du cinéaste.

Si j'osais, je dirais que tout cela est presque la partie documentaire du film, l'exploration des méthodes des Corleone et de tous les autres parrains qui se partagent New York, mais il me faut revenir à Michael Corleone qui va revenir dans le récit alors qu'il mène une vie paisible. Il va au spectacle avec Kay, au cinéma voir le dernier succès de Leo McCarey, le très consensuel Les Cloches de Sainte-Marie, une comédie musicale pleine de bondieuserie. La preuve que Michael s'est retiré de la famille et de ses affaires, il apprend que son père s'est fait tiré dessus, cinq balles dans le coffre, en lisant la une d'un journal.

Il commence la transformation du petit être frêle en grand manitou. Pour moi, le film démarre enfin avec toutes les intrigues secondaires qui font faire chuter Sonny, grand défenseur de sa petite sœur Connie qui se fait régulièrement cogner par son mari Carlo, un abruti qui la trompe allègrement, qui la frappe à la ceinture alors qu'elle est enceinte de leur premier môme. C'est d'abord l'heure des règlements de compte de toute part. La police de New York, représentée ici par un Sterling Hayden qui frappe violemment au visage Michael comme les autres « familles » de la pègre. Même si Sonny l'en croit incapable, Michael décide de tuer le flic et son allié Sollozzo.

Je tiens la partie de l'exil de Michael en Sicile comme la plus belle partie du film, voire la plus émouvante. Elle dure près de trois quarts d'heure. Après la mort du flic pourri et de Sollozzo, Michael doit se faire oublier. Plutôt que faire une ellipse, Francis Ford Coppola choisit au contraire de tout raconter cet exil en détails, c'est dire si Michael est réellement le personnage principal, largement plus que Vito Corleone. Sous le soleil de Sicile, Michael passe pour un berger, mais accompagné de deux grades du corps armés (l'un d'eux est l'acteur fétiche de Pasolini Franco Citti).

Le ton est d'une incroyable lenteur à l'image de la démarche nonchalante qu'adopte Al Pacino. Dans cette moiteur sicilienne, Michael croise le regard d'une jeune femme du village de Corleone, perché sur une colline. Coup de foudre immédiat. Avec solennité, il la demande en mariage à son père. Le père, tenancier d'un café, reste debout, Michael déjà sûr de son bon droit, de son pouvoir, reste assis. C'est moins une demande qu'un ordre que le fils de Corleone émet. Pour Michael c'est l'occasion inespérée de refaire sa vie en Sicile et de quitter sa famille américaine.

Pour Francis Ford Coppola, c'est le moyen de montrer tous les détails d'un mariage dans ce coin reculé de l'Italie. Il montre le rituel de la séduction, des fiançailles, du mariage non sans une pointe d'ironie quand la famille entière suit les deux amoureux qui se promènent gentiment. Mariés, Michael apprend à conduire à Apollonia. La vie maritale sera de courte durée, des ennemis ont mis une bombe dans la voiture, Apollonia meurt dans l'explosion. Dans la séquence suivante, Francis Ford Coppola filme Kay Adams qui demande, en vain, des nouvelles de Michael à Tom.

« Avec quelle rigueur, destin, tu me poursuis », pourrait dire Michael qui reprend les affaires des Corleone à son retour à New York. J'ai pensé à ce vers de Racine dans Phèdre en redécouvrant la dernière partie du Parrain, ce fatum qui s'abat sur lui tout autant que sur Kay désormais mariée à son ancien petit soldat devenu le Don. C'est sur elle que se conclue le film, sur son regard après avoir vu deux hommes de main prêter allégeance à Michael en lui baisant la main. Un regard terrifié et plein de tendresse, celui du spectateur du Parrain.




























































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